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19/06/2007

Orages d'acier.

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« Un cercle d’allemands et d’anglais nous entourait, nous invitant à jeter nos armes. Il régnait la même confusion que sur un navire qui sombre. J’exhortais d’une voix faible mes voisins à poursuivre leur résistance. Ils tiraient sur nos adversaires et sur les notres. Un guirlande de figures hurlantes ou muettes se refermait autour de notre petite troupe ; A gauche deux colosses anglais fourrageaient à coups de baïonnettes dans un bout de tranchée d’ou s ‘élevaient des mains implorantes. Parmi nous, on entendait aussi des voix stridentes : « cela n’a plus de sens ! Jetez vos fusils ! Ne tirez pas camarades ! » Je lançais un coup d’œil aux deux officiers, debout à coté de moi dans la tranchée. Ils me répondirent d’un sourire, d’un haussement d’épaules, et laissèrent glisser à terre leur ceinturons. Il ne me restai plus que le choix entre la captivité ou une balle ; (…) Deux anglais qui ramenaient un groupe de prisonniers du 99éme vers leurs lignes, me barrèrent la route. Je plaquai mon pistolet sur le corps de l’un deux et appuyai sur la détente; l’autre déchargea son fusil sur moi sans m’atteindre ; Ces efforts violents chassaient le sang de mes poumons en spasmes clairs. Je pus respirer plus librement et continuai à courir le long du bout de tranchée. Derrière une traverse, le lieutenant Schläger était accroupi au milieu d’un groupe de tireurs. Ils se joignirent à moi. Quelques anglais, qui traversaient le terrain, s’arrêtèrent, mirent un fusil-mitrailleur en batterie et tirèrent sur nous. Sauf moi-même, Schläger et deux de nos compagnons, tous tombèrent; (…) rien ne m’inquiétait, que la perspective de m’écrouler trop tôt… »

Ces quelques lignes sont tirées d’« Orages d’aciers », livre extraordinaire dans lequel Ernst Jünger relate son expérience de soldat puis d’officier dans les troupes de choc lors de la première guerre mondiale.Qui a lu Barbusse ou Genevoix sait la réalité -l’horreur absolue- de ce conflit. Mais le témoignage d’Ernst Jünger dépasse, à mon avis, le simple récit de guerre et atteint une dimension quasi Homérique, tant l ‘engagement, le courage physique et la fascination sont totales. Jünger fut blessé quatorze fois et fut décoré avant la fin de la guerre de la Blauer Max, la plus haute décoration militaire Allemande. Bien qu’anti-nazi et sympathisant des militaires qui organisèrent l’attentat raté contre Hitler, il sera défendu par celui-ci (qui avait connu aussi l’enfer des tranchées comme simple soldat), en souvenir de sa conduite héroïque durant la première guerre mondiale.

De Jünger, Julien Gracq disait : « L’émail dur et lisse qui semble protéger cette prose contre un toucher trop familier nous semblerait peut-être un peu glacé, si nous ne savions et si nous ne perdions jamais le sentiment au cours de notre lecture, qu’il a été obtenu à l’épreuve du feu. »

Jünger reste une énigme. Né le 28 mars 1895, il s’enfuit à 17 ans de la maison familiale pour s’engager dans la Légion étrangère : « J’avais acquis un jour la certitude que l’Eden perdu se trouvait quelque part dans les ramifications du Nil supérieur et du Congo. » écrit-il dans Jeux Africains. Récupéré par son père à Sidi-bel-abbès, il est engagé volontaire dés le début de la Grande Guerre.Viennent aprés des études de philosophie et de zoologie à Leipzig et à Naples et la publication de ses premiers livres, dont Orages d’aciers, (« Le plus beau livre de guerre que j’ai lu » dit Gide) et Les falaises de marbre, dans lequel il dénonce la barbarie Nazie. Jünger refuse les propositions du parti Nazi en 1933, préférant se consacrer à ses recherches d’entomologistes et à l’écriture. Il participe à la seconde guerre mondiale comme attaché à l’état-major parisien et consacre son temps libre à rédiger son Journal Parisien, de 1939 à 1945. Jünger aime profondément Paris et la France ; on le rencontre à l’hôtel Raphaël ou il loge, au Ritz, à la Tour d’Argent…Il déjeune ou dîne avec Jouhandeau, Morand, Guitry, Arletty, Cocteau, Picasso, Braque…Il lit Melville, Giono et surtout Léon Bloy. Il va au théâtre, se promène à travers Paris. Mais il est témoin aussi d’atrocités et d’horreurs.

 « Paris le 7 décembre 1941 ; L’après-midi, à l’Institut Allemand, rue Saint Dominique. Là, entre autres personnes, Merline (Céline), grand, osseux, robuste, un peu lourdaud, mais alerte dans la discussion, ou plutôt dans le monologue. Il y a chez lui, ce regard des maniaques, tourné en dedans qui brille comme au fond d’un trou. (…) Il dit combien il est stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions pas les juifs- il est stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage illimité. « Si les bolcheviks étaient à Paris, ils vous feraient voir comment on s’y prend ; ils vous montreraient comment on épure la population, quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la baïonnette, je saurais ce que j’ai à faire ! » »

« Paris le 7 janvier 1942 ; Reçu une lettre de mon frère Wolfgang qui, de nous quatre a été appelé le dernier sous les drapeaux ; il dirige maintenant, avec le grade de caporal, un camp prisonnier à Zullichau ; les prisonniers ne seront pas mal avec lui. Il me raconte ceci, pour la bizarrerie de la chose : «  Hier, je me suis rendu pour raison de service à Sorau en Lusace, ou j’avais à conduire un prisonnier à l’hôpital. Là, il m’a fallut également faire une visite à l’asile d’aliénés. J’y ai vu une femme dont la seule manie était de marmonner sans arrêt : « Heil Hitler ! » Quand même, voilà une folie qui est bien de notre époque. »

 

Au delà de la description factuelle et érudite de sa vie Parisienne, Jünger révèle au lecteur sa haine de Hitler et de ses partisans (qu’il désigne sous le nom de lémures), son horreur de ce qui s’est emparé de l’Allemagne , mais aussi son impuissance et sa prescience du désastre à venir.

Lors de l’épuration, bien que farouche nationaliste et homme de droite en un certain sens, Jünger sera défendu par Brecht au moment ou son œuvre se voit mise à l’index.

Viennent ensuite des années de voyages, d’études entomologistes et d’écriture qui font de cet homme inclassable un être manifestant dans ses écrits un besoin d’absolu et une exigence de sincérité bien rares.

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Commentaires

J'apprécie moi aussi « Orages d'acier » et « Sur les falaises de marbre », en tant qu'oeuvres littéraires, mais je ne crois plus du tout, aujourd'hui, que Jünger n'ait pas suivi avec sympathie l'accession d'Hitler au pouvoir et n'ait pas considéré avec bienveillance les projets nazis de conquête d'un Lebensraum vers l'Ouest (voir « Jardins et routes »).
Les écrits théoriques de Jünger publiés entre 1920 et 1933 ont été TRÈS BIEN COMPRIS, puis mis en application, par Hitler et ses collègues. Lisez donc la première édition de « Boqueteau 125 », qui est restée longtemps disponible aux éditions Payot !
Le désaccord a surgi lorsque Hitler a commencé à subir ses premiers revers militaires. Jünger aurait préféré qu'Hitler conclue un traité de paix avec la France et concentre ses forces contre les armées de Staline... Quant aux persécutions infligées aux juifs (Jünger n'ignorait pas quelles réalités recouvrait l'expression « solution finale »), on ne trouve dans l'oeuvre qu'une vague condamnation morale.
La démonstration de ce que je viens d'avancer figure dans « Fascisme et littérature pure, La fabrique d'Ernst Jünger », par Michel Vanoosthuyse (Agone, 2005).
P. S. : Votre site est passionnant à explorer.

Écrit par : Ulysse | 28/01/2008

Pour être tout à fait honnête, je dois préciser qu'« Orages d'acier » et « Sur les falaises de marbre » sont deux oeuvres que j'ai plusieurs fois relues et qui m'ont profondément marqué. Je les « apprécie » et plus encore...

Écrit par : Ulysse | 28/01/2008

merci ulysse
je n'ai pas lu boqueteau 125 et je vais m'empresser de réparer cette erreur
peut etre avz-vous raison; peut etre junger ne considérait il pas le drang nach osten et l'anéantissement du "péril judéo-bolchevique" d'un mauvais oeil
à la limite peut importe finalement; céline reste un écrivain de génie malgré cet anti sémitisme maladif et carl schmidt un philosophe passionnant malgré un engagement national-socialiste assumé
à bientot
hoplite

Écrit par : hoplite | 29/01/2008

Je vous conseille vraiment de partir à la recherche des premières éditions d'« Orages d'acier » et de « Boqueteau 125 », parues chez Payot dans les années 1930. Celle du premier est disponible dans plusieurs bibliothèques, celle du second a été rééditée jusqu'à la fin des années 1990.
On n'y trouve pas encore les méditations d'un lyrisme grandiloquent ajoutées par Jünger dans les années 1950 (ou 60 ?), ces morceaux de bravoure qui se veulent prophétiques (normal, vu l'époque à laquelle ils ont été introduits dans le texte !), qui sont surtout assez confus, et où l'auteur évoque les "Titans", les forces nouvelles qui naissent de la terre, etc. (je vous en citerais volontiers un extrait, si j'avais sous la main la traduction du texte revu et corrigé, faite par Henri Plard ; mais vous les retrouverez aisément).
À la place, on trouve les réflexions d'un soldat sur la nécessité des récompenses, sur le rôle du chef... Il y a de quoi scandaliser les belles âmes ! et pourtant ce sont des textes comme ceux-là qui font vraiment comprendre une époque, et qui, en l'occurrence, aident à saisir l'état d'esprit d'une partie des futurs électeurs d'Hitler... La plupart de ces passages ont été supprimés des éditions actuellement disponibles.

Écrit par : Ulysse | 30/01/2008

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