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15/11/2008

Au bord du gaz

« « La société a adopté, sans la moindre limite et sans le moindre contre pouvoir, l’intégralité des valeurs féminines », estimait récemment le pédiatre Aldo Naouri. De cette féminisation témoignent déjà le primat de l’économie sur la politique, le primat de la consommation sur la production, le primat de la discussion sur la décision, le déclin de l’autorité au profit du « dialogue », mais aussi l’obsession de la protection 119e45c1be2.jpgde l’enfant (et la survalorisation de la parole de l’enfant), la mise sur la place publique de l’intimité et les confessions intimes de la « télé réalité », la vogue de l’ « humanitaire » et de la charité médiatique, l’accent mis constamment sur les problèmes de sexualité, de procréation et de santé, l’obsession du paraître, du vouloir plaire et du soin de soi, (mais aussi l’assimilation de la séduction masculine à la manipulation et au « harcèlement »), la féminisation de certaines professions (école, magistratures, psychologues, travailleurs sociaux), l’importance des métiers de la communication et des services, la diffusion des formes rondes dans l’industrie, la sacralisation du mariage d’amour (un oxymore), la vogue de l’idéologie victimaire, la multiplication des « cellules de soutien psychologique », le développement du marché de l’émotionnel et de l’apitoiement, la nouvelle conception de la justice qui fait d’elle un moyen, non plus de juger en toute équité, mais de faire droit à la douleur des victimes (pour leur permettre de « faire leur deuil » et de « se reconstruire »), la vogue de l’écologie et des médecines douces, la généralisation des valeurs du marché, la déification du couple, et des problèmes de couple, le goût de la « transparence » et de la « mixité », sans oublier le téléphone portable comme substitut du cordon ombilical , la disparition progressive du mode impératif dans le langage courant, et enfin la globalisation elle-même, qui tend à instaurer un monde de flux et de reflux, sans frontières ni repères stables, un monde liquide et amniotique (la logique de la Mer est aussi celle de la Mère).

 

(…) Or, le père symbolise la Loi, référent objectif qui s’élève au-dessus des subjectivités familiales. Alors que la mère exprime avant tout le monde des affects et des besoins, le père a pour rôle de couper le lien fusionnel entre l’enfant et sa mère. Instance tierce qui fait sortir l’enfant de la toute puissance infantile et narcissique, il permet la rencontre de celui-ci avec son contexte social-historique, et lui permet de s’inscrire dans un monde et une durée. Il assure la « transmission de l’origine, du nom, de l’identité, de l’héritage culturel et de la tâche à poursuivre »  (Philippe Forget). Faisant le pont entre la sphère familiale privée et la sphère publique, limitant le désir par la Loi, il s’avère par là indispensable à la construction de soi. Mais de nos jours, les pères tendent à devenir des « mères comme les autres ». « Ils veulent eux aussi être porteurs de l’Amour et non plus seulement de la Loi » (Eric Zemmour). Or, l’enfant sans père a le plus grand mal à accéder au monde symbolique. En quête d’un bien être immédiat qui n’a pas à affronter la Loi, l’addiction à la marchandise devient tout naturellement son mode d’être. »

Alain de Benoist, La société sans pères ou le règne de Narcisse. Eléments 2006.

 

perfect day


10/11/2008

Combat

ernst_juenger.jpg« Au combat, qui dépouille l’homme de toute convention comme des loques rapiécées d’un mendiant, la bête se fait jour, monstre mystérieux resurgi des tréfonds de l’âme. Elle jaillit en dévorant geyser de flamme, irrésistible griserie qui enivre les masses, divinité trônant au dessus des armées. Lorsque toute pensée, lorsque tout acte se ramènent à une formule, il faut que les sentiments eux-mêmes régressent et se confondent, se conforment à l’effrayante simplicité du but : anéantir l’adversaire. Il n’en sera pas autrement tant qu’il y aura des hommes.

Les formes extérieures n’entrent pas en ligne de compte. Qu’à l’instant de s’affronter on déploie les griffes et montre les dents, qu’on brandisse des haches grossièrement taillées, qu’on bande des arcs de bois, ou qu’une technique subtile élève la destruction à la hauteur d’un art suprême, toujours arrive l’instant où l’on voit flamboyer, au blanc des yeux de l’adversaire, la rouge ivresse du sang. Toujours la charge haletante, l’approche ultime et désespérée suscite la même somme d’émotions, que le poing brandisse la massue taillée dans le bois où la grenade chargée d’explosif. Et toujours, dans l’arène où l’humanité porte sa cause afin de trancher dans le sang, qu’elle soit étroit défilé entre deux petits peuples montagnards, qu’elle soit le vaste front incurvé des batailles modernes, toute l’atrocité, tous les raffinements accumulés d’épouvante ne peuvent égaler l’horreur dont l’homme est submergé par l’apparition, l’espace de quelques secondes, de sa propre image surgie devant lui, tous les feux de la préhistoire sur son visage grimaçant. Car toute technique n’est que machine, que hasard, le projectile est aveugle et sans volonté ; l’homme, lui, c’est la volonté de tuer qui le pousse à travers les orages d’explosifs, de fer et d’acier, et lorsque deux hommes s’écrasent l’un sur l’autre dans le vertige de la lutte, c’est la collision de deux êtres dont un seul restera debout.

Car ces deux êtres se sont placés l’un l’autre dans une relation première, celle de la lutte pour l’existence dans toute sa nudité. Dans cette lutte, le plus faible va mordre la poussière, tandis que le vainqueur, l’arme raffermie dans ses poings, passe sur le corps qu’il vient d’abattre pour foncer plus avant dans la vie, plus avant dans la lutte. Et la clameur qu’un tel choc mêle à celle de l’ennemi est cri arraché à des cœurs qui voient luire devant eux les confins de l’éternité ; un cri depuis bien longtemps oublié dans le cours paisible de la culture, un cri fait de réminiscence, d’épouvante et de soif de sang. »

Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure. 1922.

Paths of glory, 1957, S Kubrick.

Je vous entends dèjà: "oui, hoplite a un coeur de midinette, il nous refourgue toujours la scène finale des Sentiers de la gloire ou die schöne mädchen fait chialer les poilus, ça suffit, salaud, avoue!..."

Précisément, cette scène est bouleversante car comme au combat décrit par Jünger, les masques tombent. Ces hommes endurcis, aguerris, qui ont vu l'horreur de prés et qui n'en reviendront pas indemnes -ou pas du tout, se mettent à chialer comme des gamins. L'humanité de ces soldats "aux yeux que mille terreurs avaient fait de pierre, sous le casque d'acier", recluse au fond d'eux-mêmes, explose et déborde sans pudeur.

L'humanité aussi des trois soldats innocents condamnés à mort pour l'exemple par une hiérarchie militaire bornée et implacable, malgré la défense extraordinaire du colonel/ avocat Dax, qui ne manque pas pour autant de nous montrer son torse nu et son brushing inaltérable.

Le contraste entre la description clinique de l'horreur -absolue- du combat (relire Orages d'aciers de Jünger et A l'ouest rien de nouveau de Remarque), la mise à nu de l'instinct de mort présent en chaque homme, la mécanique atroce qui condamne à mort des hommes en pleine boucherie et cette jeune fille apeurée et émouvante est extraordinairement beau.


"Je ne sais pas qui va gagner la guerre, mais quelle que soit sa fin, ce sera celle des Rauffenstein et des Boeldieu"

La grande illusion, 1937, Jean Renoir.