08/02/2009
Qu'est-ce qui marche en ce moment?
Oh oh, si un regard pouvait tuer, celui du petit libraire savoyard que je rencontre 3 fois l’an dans ma vallée de Tarentaise, eut été fatal à ce cuistre fier de lui et sa face consternante, réincarnation du bourgeois Homais… « Qu’est-ce qui marche en ce moment ? » demanda-t-il à cet homme qui ne vit que pour la littérature… Pareille réflexion de marchand repus n’appelle que la mort. Hoplite fort occupé à trouver les confessions de Saint augustin, ce livre de chevet de l’Occident, croisa le regard éperdu de ce brave libraire qui luttait contre l’envie irrépressible de bouter hors de sa boutique ce nouvel infidèle…mais qui, se ressaisissant, trouva les mots pour interroger le pitre et s’enquérir –oh misère- de ses goûts littéraires…
Quelques minutes plus tard je posais avec componction sur la caisse de l’érudit fait marchand, les donc Confessions, ainsi que le Cauchemar climatisé de Miller (Henri, pas l’autre) et le manuel de campagne électorale de Quintus Cicéron, moins connu que son aîné Marcus Tullius, mais qui, cynique en diable, développe cet art de la démagogie qui lui permit d’être élu… et à d’autres encore…
Il y a quelques mois, j’avais eu, avec le même homme, une discussion sur Orwell, son engagement en Espagne durant la guerre civile, et surtout sur l’acception de sa « common decency » sur laquelle nous divergions, malgré l’intérêt que nous portions tous deux à l’auteur du Quai de Wigan.
Aujourd’hui ce fut Miller, son Sexus…ce cauchemar climatisé, cri de haine envers ce pays qu’il aimât, l’Amérique. Puis, malgré quelques fâcheux pressés de lire Gavalda ou je ne sais quel prix littéraire inepte donc médiatisé à outrance, nouvelle discussion sur Richard Millet, plus précisément sur son dernier opus, Confession négative, qui m’a secoué, tout hoplite –tendance anarque- que je sois.
Je m’interrogeais depuis un moment sur le sens de ce titre : Ma vie parmi les ombres, ou l’auteur relate son enfance paysanne sur le plateau de Millevaches et la disparition de ce monde traditionnel que je connais de prés. Je crois que j’ai compris ce que veut dire Millet en lisant cette confession dans laquelle l’auteur livre son engagement total et meurtrier dans une phalange chrétienne à Beyrouth dans les années 70. Parti sur un coup de tête, Millet devient un combattant, un tueur, un sniper, mais pas un assassin. Et comprend ce qu’il entrevoyait : il n’est pas de ce monde. Pas celui des vivants. J’ai compris, en regardant mon libraire toute l’horreur que lui inspire la confession de cet homme pieux qui part, tel un moins soldat en quête de la grâce littéraire, combattre la gangrène Palestinienne qui dévore le Liban, après septembre noir. Millet se met à nu car il n’est plus de ce monde –et peut-être ne le fût jamais.
« Je me demande ce qu’il y a encore à détruire, dans ce secteur, a-t-il ajouté en montrant l’immense terrain vague laissé par le déblaiement des taudis de la Quarantaine.
-Des hommes, ais-je cru bon de suggérer, souriant à mon tour pour ne pas avoir l’air trop niais.
-Des hommes ? Non, ils sont morts, même ceux qui combattent, en ce moment, et qui se croient vivants. A un certain degré d’horreur et de bruit, on ne se bat plus pour vivre, ni pour survivre, mais parce qu’on est mort, oui, passé à l’autre bout de la vallée de larmes, et que le combat se limite à tenter de remonter chez les vivants. »
J’aurais pu lui répondre que j’étais vivant, moi, mais je n’en étais pas tout à fait certain, et j’ai préféré continuer à sourire, tout en reconnaissant que j’appartenais aux ombres, que je méprisais même un peu les vivants, leur insouciance, leur incurie, leur cruauté, lezs morts, eux étant en paix les uns avec les autres, on n’y a jamais songé de cette façon, mais c’est ce qui les caractérise, outre leur invraisemblable mémoire.
Mais je n’ai rien dit. Je préférais rester un combattant simple et droit aux yeux du responsable phalangiste dont je continuais à trouver la cause noble, et la seule qui méritât d’être défendue. »
Richard Millet, La confession négative, Gallimard, p. 396.
22:11 | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : richard millet, saint augustion, liban, phalangistes, musulmans, palestiniens
Commentaires
Très beau billet. Il coule de source. Je te soupçonne de l'avoir écrit sans même éprouver de difficulté. Quel salaud de talentueux tu peux être!
Oui j'ai lu le Cauchemar. Très bien.
Les Confessions ont par contre été plus ardues.
Si tu veux vraiment lire quelque chose de mystique et qui m'a réellement allumé, c'est l'oeuvre complète de Ste-Thérèse d'Avila (éd. Breuwer).
T'as une belle plume, l'ami. Si je le dis, c'est que je le pense.
Écrit par : Inukshuk | 08/02/2009
C'est en effet un livre somptueux, quoique la concordance des temps y soit parfois hasardeuse.
Richard millet aurait-il essayé, par ce livre, de rivaliser avec "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell ?...
Écrit par : Ulysse | 08/02/2009
J'arrête pas de lui dire d'écrire un vrai bouquin, mais m'écoute pas...
Écrit par : jo | 09/02/2009
ulysse, j'ai pris le témoignage de millet au premier degré. qu'est-ce qui te fais croire qu'il pourrait s'agir d'une fiction?
Écrit par : hoplite | 09/02/2009
Pour l'heure, je n'en sais pas davantage.
De toute façon, son caractère fictionnel n'enlève rien à l'extraordinaire puissance de ce livre, n'est-ce pas ?
Et merci, Hoplite, pour vos articles.
Écrit par : Ulysse | 09/02/2009
"Millet devient un combattant, un tueur, un sniper, mais pas un ASSASSIN". Je suis d'accord ! S'il tuait les lecteurs frustres et béotiens (ceux qui lisent les prix littéraires par exemple et qui n'ont donc pas ce goût distingué d'un Hoplite, le servum pecus), il ne pourrait être considéré comme "assassin" mais comme un bienfaiteur.
Alors qu'est-ce qu'il attend, Millet, pour le faire ? Ici, en France.
Sur le style "hors du commun" d'Hoplite :
"malgré l’intérêt que nous portions tous deux à l’auteur du Quai de Wigan qui détermina son engagement socialiste". Il est vrai qu'une telle phrase devrait être donnée en exemple pour son évidente clarté, sa poétique et son originalité.
Bref, avec Hoplite, nous avons, c'est certain, un nouveau "Jünger" en herbe
Écrit par : Gilbert Destrées | 10/02/2009
j'avoue , quand même qu'ils n'ont pas tort ...
Hum , comme toi , avoir lu un lire qu'Inuk n'ai pas lu , un vrai défi !
Néanmoins , je dois t'avouer , toujours été sincére avec toi , que cela me dépasse un peu même si j'en capte des bribes et que cela m'interpelle ...
Femme , jusqu'au bout des neurones ...
Amitiés
hélèna
Écrit par : helenablue | 10/02/2009
gilbert, ne vous méprenez pas, mon cher, je n'ai aucun mépris à l'endroit des lecteurs de prix littéraires ou des pas lecteurs du tout! ce qui me hérisse c'est le ton et la phrase du mec: ce qui marche, ce qui se vend, ce qui fait du volume, etc sous entendu, la valeur littéraire est liée au volume des ventes, la quintessence de l'esprit bourgeois...j'eus préféré: "que me conseillez vous, gentil libraire?"
"Bref, avec Hoplite, nous avons, c'est certain, un nouveau "Jünger" en herbe"...oh, oh!, gilbert, quelle acrimonie!! aucune prétention stylistique, évidemment. ce blog est le journal de lecture d'un autodidacte, rien de plus. mais c'est bon d'avoir des amis...
helena, je reviens
Écrit par : hoplite | 10/02/2009
même Junger se serait fissuré! ce salaud d'anarque!
Écrit par : hoplite | 10/02/2009
Je suis content que tu considères ton blog sous l'angle de la relativité (c'est aussi mon approche quoique je ne sois pas rendu à ce point), ce qui signifie que tu as suffisamment de recul par rapport à tout cela.
Sauf que malgré ta désinvolture, ton écriture reste une signature que tu ne peux renier, même en proclamant que tu écris n'importe quoi. On sent un potentiel certain dans tes messages.
Sérieux, tu devras assumer ton talent, quand bien même tu pratiques l'aveuglement conscient à ce sujet.
Écrit par : Inukshuk | 10/02/2009
Écrit par : hoplite | 10/02/2009
et pis, somme toute, ce qui compte c'est la manière dont on raconte sa vie, tenant pour acquis que la mienne est tout à fait banale..
Écrit par : Inukshuk | 10/02/2009
Bon , tu as du talent , et alors !
Je ne vois pas de probléme !
Allez , Hoplite , vas-y , les douleurs intenses auquelles tu as été confrontées peuvent te doner accés , nous le savons , à des lieux bien secrets et pourtant , cette vie qui nous est donnée et parfois reprise avec violence nous donne un regard loin d'être banal ...
Alors , pardonne ma franchise , et sans doute ma méconnaissance des régles , je suis trés touchée d'avoir pu au travres de ce prisme qui parait si " virtuel " rencontrer un homme comme toi....
Bah , il est temps que nous nous fassions un "chili con carne " avec Inuk , à sa façon ...
merci à toi , et à vous d'être là ...
Amitiés sincéres.
Hélèna
Écrit par : helenablue | 11/02/2009
merci héléna . on arrivera à faire sortir inuk du bois hé hé!
Écrit par : hoplite | 11/02/2009
La cabane au Canada, c'est du folklore...
Hé, hé!
Écrit par : Inuk | 11/02/2009
Écrit par : helenablue | 11/02/2009
Écrit par : hoplite | 12/02/2009
Écrit par : Julius | 17/02/2009
Écrit par : hoplite | 17/02/2009
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