19/12/2009
l'air du temps
« En cette époque dite de culture de masse ce ne sont pas les masses qui manquent de culture mais plutôt les élites. Il est rare d’entendre dans un autobus des bourdes aussi monumentales que celles que l’on remarque à la télévision ou dans les journaux. » (Claudio Magris)
Il y a peu, un matin, j’écoutais d’une oreille distraite la propagande progressiste habituelle de France-Inter (sorte de baromètre très utile pour apprécier le degré d’abrutissement généralisé de nos modernes) et, l’esprit encore embrumé, la chronique d’une quelconque apparatchik dont j’ai oublié le nom, qui relatait la façon dont elle avait pu recueillir -courageusement cela va sans dire- l’interview d’un clandestin Afghan, récemment promis à l’expulsion.
Bon, je passe sur l’apologie ordinaire de la transgression de toutes les frontières morales et culturelles –en l’occurrence des lois de la Cité- qui tient lieu de colonne vertébrale à tout bon progressiste, notamment de gauche, et qui commande le soutien inconditionnel à toute forme de mise à bas des lois, coutumes, traditions auxquelles restent curieusement attachés les peuples, les gens ordinaires (sous la bannière maudite du « populisme »), peut-être ceux qui, précisément ne sont nullement à l’abri des effets les plus immédiats de cette déferlante de transgressions ordinaires et de transformation radicale de leur environnement (les gueux qui n’habitent pas Rive gauche dans une ghetto leucoderme sécurisé au milieu de citoyens du monde abonnés à Télérama, pour faire court).
Je me demandais comment cette pintade formatée au discours politiquement correct (xénophilie inconditionnelle, abolition de toute frontières, multiculturalisme érigé en dogme, haine du peuple et de toute émanation populaire, etc.) , sponsorisé par Bouygues et Orange, et qui avait du, quelques jours plus tôt, vomir le peuple Suisse et son référendum « anti minaret », pouvait manifester cette si grande fraternité à l’égard d’un délinquant afghan, aussi valeureux soit-il. Un étranger absolu, quoi.
J’ai repensé à la phrase de Rousseau stigmatisant ces "intellectuels" cosmopolites "qui vont chercher au lointain des devoirs qu'ils dédaignent d'accomplir autour d'eux"...
Le même genre de reportage serait-il envisageable avec un agriculteur Corrézien étranglé par quelque grande surface ou une salariée du Nord licenciée parce que son employeur, France Télécom, délocalise son centre d’appel à Casablanca pour être capable de s’aligner sur la stratégie agressive de Free, au nom du libre marché, de la libre concurrence non faussée ? Non, bien sûr. D’abord, ce sont des « petits blancs misérables », c’est pas très porteur, coco ! Fais moi plutôt un papier sur les Afghans de Calais (non plus les bourgeois...) ou sur ces Charters de la honte (la honte fait partie du jargon progressiste ordinaire, érigé en novlangue,que tout bon progressiste se doit de maitriser, au même titre que "heures sombres", "réthorique nauséabonde" ou "cette france moisie") !
Ensuite parce que libéralisme économique (credo de nos progressistes "de droite") et libéralisme culturel (credo de nos progressistes "de gauche") vont de pair et qu’inconsciemment ou pas, il est relativement inconfortable de rester debout en se coupant une jambe…
Mais de quoi parler dés lors que l’on a abandonné toute critique de la globalisation marchande et de ses supers bulles et que, en bonne progressiste, on se sent obligé de valider toutes ces magnifiques avancées des droits individuels que produit à jet continu notre époque moderne (droit au logement, droit au burkini, droit au repas hallal, droit à l’enseignement de la culture d’origine au sein de l’EN, droit au RESPECT, cette valeur de racaille, etc.) ? Et bien, de ce qui ne mange pas de pain (droits de l’homme (pas ceux des Européens, ceux des Yanomamis), racisme (en précisant immédiatement que seuls les autochtones européens peuvent être racistes, les migrants, ce nouveau prolétariat, ne pouvant, par définition, l’être), antiracisme (en veillant à faire émerger quelques vigies métissées organisées en officines subventionnées par moi, bordel!), islamophobie (tout discours non laudateur à l'égard de la "religion d'amour, de paix et de tolérance), clandestins (rebaptisés "sans-papiers"...) ou d'ennemis imaginaires (nouveaux réactionnaires introuvables, sauf chez le pauvre Lindenberg, ordre moral fantôme, patriarcat à férule moribond, etc...).
Au-delà des apparences de coolitude branchée trendy de cette classe journalistique de merde, endogame et évoluant en bang de hareng sous les ors de la tolérance, c’est l’intolérance absolue des clercs de cette église progressiste qui perce. Qui n’est pas avec eux appartient à l’axe du Mal (comme disait l’autre crétin Texan) et doit être détruit. Delenda est reactio! (que les latinistes me pardonnent..)
Enfin, une caractéristique notable de cette élite spectaculaire et médiatique (!) est la double pensée : ces bulots sont en effet, de par leur situation professionnelle extrêmement bien renseignés sur l’état de notre société, donc sur ce lot quotidien de barbarie, de violence, d’inhumanité, d’atomisation, de désespérance que produit cette mondialisation "heureuse" que vantent nos élites politiques à longueur de billets et de repas de comices. …mais, en même temps, par leur situation sociale, à l'abri de ces menus désagréments.
Tout en ayant conscience du désastre moderne, ils la célèbrent quand même quotidiennement au nom de la marche radieuse du Progrès : ce qu’il faut, de toute évidence, c’est plus de libre marché, plus de concurrence non faussée, plus de délocalisations, plus de désindustrialisation, plus d’immigration –clandestine ou pas- plus de déflation salariale, moins de protection sociale, plus de droits individuels mais moins de retraite, plus de transgression coco, ça fait chier le bourgeois ! (quelle erreur ! au contraire, la transgression est bourgeoise par essence), du nomadisme, à bas l’enracinement et la fermeture, moins de frontières, du métissage avant tout (ce projet Babel, je trouve ça joli, non ?), moins d’armée (yen a plus, c’est pas grave) mais plus de soldats en Afghanistan (pour quoi faire ?) , moins de curés (yen a plus non plus, c’est pas grave) mais plus d’imams, moins de patriarcat (il est mort aussi, pas grave, on fait comme si !) mais plus d’homoparentalité, plus de métissage mais moins de racisme ! ad lib. C’est ça la double pensée : j’ignore délibérément ce que je vois ou je soutiens deux thèses incompatibles, par idéologie. C’est tout.
« Manifestement, depuis une quinzaine d’années, l’orthodoxie dominante, notamment parmi les jeunes, est « de gauche ». Les mots-clefs sont « progressiste », « démocrate » et « révolutionnaire », alors que les étiquettes qu’il faut à tout prix éviter de se voir accoler sont celles de « bourgeois », de « réactionnaire » et de « fasciste ». De nos jours, presque tout le monde, y compris la plupart des catholiques et des conservateurs, est « progressiste », ou du moins souhaite être tenu pour tel. Personne, que je sache, ne se définit jamais comme « bourgeois », de même qu’aucun individu assez cultivé pour avoir entendu le terme ne se reconnaît jamais coupable d’antisémitisme. Nous sommes absolument tous de bons démocrates, anti-fascistes et anti-impérialistes, affranchis de tout respect pour la hiérarchie sociale comme de tout préjugé racial, et ainsi de suite. » (George Orwell, 1948)
(photo: où l'on constate que l'exigeance libérale d'une liberté de circulation pour les hommes, en plus de celle concernant capitaux et marchandises déjà acquise, est aussi une valeur cardinale dans le projet progressiste...ce qui ne saurait surprendre personne, en vérité.)
illustration...
« C’est cette nécessité de protéger la civilité et le langage traditionnels contre les effets de la domination de classe, qui est, vraisemblablement, à l’origine du besoin si souvent ressenti par Orwell de réhabiliter une certaine quantité de conservatisme. Aucune société décente, en effet, ne peut advenir ni même être imaginée, si nous persistons, dans la tradition apocalyptique ouverte par Saint Jean et Saint Augustin, à célébrer l’avènement de l’homme nouveau et à prêcher la nécessité permanente de faire du passé table rase. En réalité, on ne peut espérer changer la vie si nous n’acceptons pas de prendre les appuis appropriés sur un vaste héritage anthropologique, moral et linguistique, dont l’oubli et le refus ont toujours conduit les intellectuels révolutionnaires à édifier les systèmes politiques les plus pervers et les plus étouffants qui soient. C’est une autre manière de dire qu’aucune société digne des possibilités modernes de l’espèce humaine n’a la moindre chance de voir le jour si le mouvement radical demeure incapable d’assumer clairement un certain nombre d’exigences conservatrices. Telle est, de ce point de vue, la dernière et la plus fondamentale leçon de 1984 : le sens du passé, qui inclut forcément une certaine aptitude à la nostalgie, est une condition absolument décisive de toute entreprise révolutionnaire qui se propose d’être autre chose qu’une variante supplémentaire des erreurs et des crimes déjà commis.
« - A quoi devons nous boire cette fois [demanda O’Brien] ? A la confusion de la police de la pensée ? A la mort de Big Brother ? A l’humanité ? A l’avenir ?
- Au passé, répondit Winston.
- Le passé est plus important, consentit O’Brien gravement. » » (Orwell anarchist tory, JC Michéa)
NB: étant clair que, dans mon esprit, ni Constant ni Tocqueville ne pourraient se reconnaitre une seconde dans le projet babélien/ libéral tel que nous le voyons s'ériger sous nos yeux aujourdhui (à mes amis libéraux...).
Et une dernière, pour la route:
"On oublie trop souvent que le monde moderne, sous une autre face, est le monde bourgeois, le monde capitaliste. C'est même un spectacle amusant de voir comment nos socialistes antichrétiens, particulièrement anticatholiques, insoucieux de la contradiction, encensent le même monde sous le nom de moderne et le flètrissent, le même, sous le nom de bourgeois et de capitaliste."
(Charles Péguy, De la situation faite au parti intellectuel, 1907)
17:10 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : progressisme, libéralisme, islam, orwell
Commentaires
Entendu dans une classe où un emmerdeur avec patente s'ingénie à casser tous mes cours, soutenu par la foule suiviste:
"Madame, vous faites de la discrimination!".
Je précise que c'est une classe de 4ème où j'ai effectivement tendance à "discriminer" ce pticon même pas immigré. Jusqu'où va cette répétition d'un vocabulaire novlangue non comprise et utilisé comme une litanie!
Tu ne peux plus dire à un cancre de la fermer sans te faire taxer de racisme et de discrimination.
Écrit par : Marine | 19/12/2009
@marine, heureusement tu peux compter sur le soutien -sans faille- de tes collègues et des tutelles. ah ah!
Écrit par : hoplite | 19/12/2009
Exactement comme tu le pressens ;)
Écrit par : Marine | 19/12/2009
Ce qui m'amuse beaucoup, chez ces gens que vous décrivez fort bien, ces cafards proliférants, c'est qu'ils prônent la transgression de la loi lorsqu'il s'agit de protéger trois clandestins, mais ne cessent, DANS LE MÊME TEMPS, de pleurnicher pour en avoir davantage (des lois) afin de réprimer tout ce qui leur déplaît, tout ce qui montre leur connerie et leurs ridicules du doigt : les "phobies", en gros.
Écrit par : Didier Goux | 19/12/2009
trés vrai, didier, l'inflation juridique/ légaliste répond à l'intolérance, à la lutte de tous contre tous (dés lors qu'il ne saurait y avoir de valeurs morales/philosophiques communes...)
"cafards proliférants" c'est l'image que je cherchais. merci
Écrit par : hoplite | 19/12/2009
La vidéo de ce pitre en chaussons de danse postant son manifeste d'intermittent du spectacle vivant à 500 mètres de la Place des Vosges en prétendant parler au non de la race humaine …Quel tableau.
Écrit par : festfury | 19/12/2009
ah, ah, j'ai bien ri aussi: pitre en chaussons de danse, exact.
Écrit par : hoplite | 19/12/2009
Ah qu'il était doux le bon vieux temps où les idiots se contentaient d'être du village. Maintenant ils veulent sauver le monde, être utiles, engagés ......
PS: pour Tocqueville, les même idiots en ont fait le grand prêtre du Libéralisme à la Goldmann Sachs. Les cons. Je dois dire que Tocqueville dans "l'Ancien régime" a participé avec brio à ma déniaiserie personnelle. Lumineux le Tocqueville.
PS2 : A Copenhague, ils ont réussi à énerver les flics danois. Franchement faut le faire !
Écrit par : robespierre | 19/12/2009
"Aucun être humain n'est illégal"
Ou comment avouer que l'on définit l'être humain par rapport à une loi, cette phrase est un magistral aveu d'une volonté de soumission. "Je veux être légal ! Je veux être soumis à une loi !"
Ces blaireaux jouissent à l'idée de se soumettre à une loi, un ordre, ils jouissent de se définir par rapport à lui, et exclusivement par rapport à lui. La soumission est la seule chose qui les fait bander.
Et ça se dit rebelle...
Écrit par : Johann Peter | 19/12/2009
"A Copenhague, ils ont réussi à énerver les flics danois. Franchement faut le faire !"
oui, faut le faire! je pense que tout ce tas de crétins utiles (ong et cie) ont du à un moment se rendre compte qu'ils étaient les seuls à y croire et qu'ils n'étaient là que pour le spectacle et faire passer la pillule du CO2bizness...d'ou un mouvement d'humeur bien légitime! ah ah!
Écrit par : hoplite | 19/12/2009
"Et ça se dit rebelle..."
des mutins de Panurge, disait Muray...
Écrit par : hoplite | 19/12/2009
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