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22/10/2009

aliénation

« Ce n’est que de nos jours, qu’il est possible de commencer à mesurer exactement les effets politiquement catastrophiques de la croyance au caractère conservateur de l’ordre économique et libéral. C’est ce postulat insensé qui, depuis trente ans n’a cessé de conduire mécaniquement la plupart des militants de gauche, à tenir l’adoption à priori de n’importe quelle posture modernisatrice ou provocatrice –que ce soit sur un plan technologique, moral ou autre- pour un geste qui serait toujours, et par définition, « révolutionnaire », et « anticapitaliste » ; terrible confusion qui, il est vrai, a toujours eu l’incomparable avantage psychologique d’autoriser ceux qui s’y soumettaient, à vivre leur propre obéissance à l’ordre industriel et marchand comme une modalité exemplaire de la « rebel attitude. »

(C Michéa, préface à Culture de masse ou culture populaire de C Lasch. Climats)

04/07/2009

un monde à la Blade runner

blade_runner_tribute_070408.jpg"La mobilité perpétuelle des individus atomisés est l’aboutissement logique du mode de vie capitaliste, la condition anthropologique ultime sous laquelle sont censés pouvoir se réaliser l’adaptation parfaite de l’offre à la demande et l’"équilibre général" du Marché. Cette conjonction métaphysique d’une prescription religieuse (Lève toi et marche !) et d’un impératif policier (Circulez, il n’y a rien à voir !), trouve dans l’apologie moderne du "nomade" son habillage poétique le plus mensonger.

On sait bien, en effet, que la vie réelle des tribus nomades que l’histoire a connues, s’est toujours fondée sur des traditions profondément étrangères à cette passion moderne du déplacement compensatoire dont le tourisme (comme négation définitive du Voyage) est la forme la plus ridicule quoiqu’en même temps la plus destructrice pour l’humanité.

Bouygues et Attali auront beau s’agiter sans fin, leur pauvre univers personnel se situera donc toujours à des années-lumière de celui de Segalen ou de Stevenson. Sénèque avait, du reste, répondu par avance à tous ces agités du Marché : "C’est n’être nulle part que d’être partout. Ceux dont la vie se passe à voyager finissent par avoir des milliers d’hôtes et pas un seul ami. " (Lettres à Lucilius)"

JC Michéa, Orwell éducateur.

29/06/2009

populisme

abb16_gr.jpg«Formons même une hypothèse franchement scandaleuse : ce qui, depuis 1984 est officiellement diabolisé par les médias sous le nom de populisme (en étant, pour les besoins de la cause, cyniquement amalgamé à deux ou trois thèmes d’origine authentiquement fasciste), c’est, pour l’essentiel, l’ensemble des idées et des principes qui, en 1968 et dans les années suivantes, avaient guidé les classes populaires dans leurs différents combats pour refuser, par avance, les effets qu’elles savaient (ou pressentaient) destructeurs, de la modernisation capitaliste de leur vie. Idées qui, pour cette raison, étaient bien trop radicales pour être –sous quelque forme que ce soit- intégrées au paradigme libéral-libertaire des nouvelles élites de la mondialisation.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, il y a bien peu de chances que le mot d’ordre Volem viure al païs, qui fut, comme on l’a peut-être oublié, l’étendard des paysans du Larzac, soit désormais perçu par un jeune téléspectateur autrement que comme un appel Poujadiste à rejoindre la bête immonde.

Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il est donc nécessaire de rappeler quelques faits.  C’est en 1983-1984 –comme on le sait- que la Gauche française dut officiellement renoncer  (car, dans la pratique, ce renoncement lui était, depuis longtemps, consubstantiel) à présenter la rupture avec le capitalisme comme l’axe fondamental de son programme politique. C’est donc à la même époque qu’elle se retrouva dans la difficile obligation intellectuelle d’inventer, à l’usage des électeurs, et tout particulièrement de la jeunesse, un idéal de substitution à la fois plausible et compatible avec la mondialisation, maintenant célébrée, du libre-échange.

Ce sera, on le sait, la célèbre lutte contre le racisme, l’intolérance et toutes les formes d’exclusion, lutte nécéssitant, bien sûr, parallèlement à la création sur ordre de diverses organisations antiracistes, la construction méthodique des conditions politiques (par exemple, l’institution, le temps d’un scrutin, du système proportionnel) destinées à permettre l’indispensable installation  d’un « Front National » dans le nouveau paysage politique.

C’est donc précisément dans cette période très trouble et très curieuse –pour tout dire très Mitterrandienne- que les médias officiels furent amenés progressivement à donner au mot de populisme- qui appartenait jusque là à une tradition révolutionnaire estimable- le sens qui est désormais le sien sous le règne de la pensée unique. »

JC Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Climats 2000, p.97.

26/09/2008

Jardins et routes

Quelques jours à Bordeaux. Voyage en train, paysages ruraux magnifiques. Villages endormis, fermes aux briques rouges, champs de tournesols grillés, noirs. Café de la gare à Lézignan, étangs qui fument, phares dans la nuit, premières fenêtres allumées, gare de Bram, bribes de conversations, Quartier d’Anjou la légion, l'étranger proche. Animaux serrés les uns contre les autres, silhouettes à casquettes sur un quai puis la Garonne sur la quelle se penchent encore quelques grues titanesques et rouillées, témoins silencieux d'un Bordeaux industrieux. Hangars désaffectés, docks abandonnés, entrepots promis à la destruction...Tout un monde traditionnel, coutumier, c'est-à-dire qui parle encore à chacun, refusant d'obtempérer aux commandements de bouger de notre expertocratie Attalinoïde et de son nouvel ordre festif.

*

msz40z5k.jpgRéflexions sur la common decency d’Orwell, si bien cernée par Michéa et Crick. Cette manière instinctive d’être, d’agir, de penser, de la classe ouvrière d’antan. Sorte de dignité, de loyauté, d’honneur, de respect de soi-même, des autres et du monde. Un code moral. Sur l’âme de ce socialisme ouvrier –éminemment respectable- et si loin de ce socialisme émétique moderne de pouvoir et de salons , promu par la cléricature du Progrès, soumise, corps et âme, au culte de l’argent.

Ou l’impossibilité d’être à la fois socialiste et « de gauche », faisant référence à une matrice idéologique commune au libéralisme et au progressisme. J’y reviendrai.

*

Excellent article dans la NRH sur le vocabulaire usuel de nos figures politiques; alors que De Gaulle ou Mitterrand  utilisaient un répertoire de prés de 4000 mots ou locutions, Giscard, dans un souci démagogique puis Chirac, Sarkosy et Royal par obligation, usent d'un répertoire de 300 à 500 mots. Avec la vulgarité de Sarko et l'approximation syntaxique de Ségo en plus. Sarko, Ségo, Mc Cain, Obama même combat de nains médiocres.

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Relecture de « Jardins et routes », première partie du journal de guerre d’Ernst Jünger, oû se mêlent, considérations philosophiques, botaniques, entomologiques, oniriques et guerrières…Mélange étonnant et fascinant. Impression de sérénité et de tranquille assurance malgré la description clinique des horreurs de la guerre. Un bonheur. D’abord l’attente, les promenades sur la ligne de front, la contemplation des insectes, des animaux ou des hommes, puis la campagne de Belgique et de France, le nihilisme brutal du Grand Forestier, si bien saisi dans les Falaises de marbre, dont on apprend que le titre originel était La reine des serpents

« Les cathédrales considérées comme des fossiles endormis dans nos villes comme sous des sédiments tardifs. Mais nous sommes fort loin de déduire de ces proportions la vitalité qui se conjuguait avec elles et qui les a formées. Ce qui a vécu sous des apparences multicolores et ce qui les a crées, est plus loin de nous que les ammonites de la période crétacée ; et nous avons moins de peine à nous représenter un saurien d’après un os trouvé dans une carrière schisteuse. On pourrait également dire que les hommes d’aujourd’hui regardent ces œuvres comme un sourd voit les formes de violons ou de trompettes. »

« Logement à Wellschbillig. Je fus cantonné ici chez un paysan, dans une maison qui repose sur ses fondations depuis l’époque romaine. Après que j’eu un peu dormi, mon hôte m’envoya par Rehm une gamelle de pommes de terre rôties, avec du confit de bœuf, de quoi rassasier trois bûcherons. Les rapports de l’hôte avec le soldat sont particuliers en ce que, à l’instar du droit sacré d’asile, ils relèvent encore des formes de l’antique hospitalité que l’on accorde sans considération de personnes. Le guerrier a le droit d’être l’hôte dans toutes les maisons et ce privilège est un des plus beaux que lui confère l’uniforme. Il ne le partage qu’avec l’homme persécuté et souffrant. »

Juenger_BM_Berlin_630.jpg« Comme lecture du chemin de fer, le livre de Brousson sur France. Page 16, la fameuse citation de La Bruyère : « Un peu plus de sucre dans les urines, et le libre penseur va à la messe. » En effet, nous commençons à croire lorsque les choses vont plus mal pour nous. C’est alors aussi que nous accueillons des rumeurs, des couleurs, des sons, qui nous sont habituellement inaccessibles. »

« Je remarquais un peu plus tard que la présence des sept cent Français [prisonniers de la compagnie de Jünger après la campagne éclair de mai 1940] ne m'avait pas inquiété le moins du monde, quoique je ne fusse accompagné que d'une seule sentinelle, plutôt symbolique. Combien plus terrible avait été cet unique Français, au bois Le Prêtre, en 1917, dans le brouillard matinal, qui lançait sur moi sa grenade à main. Cette réflexion me fut un enseignement et me confirma dans ma résolution de ne jamais me rendre, résolution à laquelle j'étais demeuré fidèle pendant l'autre guerre. Toute reddition des armes implique un acte irrévocable qui atteint le combattant à la source même de sa force. Je suis convaincu que la langue elle-même en est atteinte. On s'en rend surtout compte dans la guerre civile, ou la prose du parti battu perd aussitôt de sa vigueur. Je m'en tiens là-dessus au "Qu'on se fasse tuer" de Napoléon. Cela ne vaut naturellement que pour des hommes qui savent quel est notre enjeu sur cette terre. »

E Jünger, Jardins et routes, Bourgeois éditeur, 1995.

 

11/06/2008

L'enseignement de l'ignorance

Relu tantôt L’enseignement de l’ignorance de Michéa. Très convaincant, non seulement sur le désastre de l’éducation nationale, mais aussi sur son explication globale de ce chaos éducatif.

Globalement, et indépendamment de causes structurelles et circonstancielles (massification de l’enseignement, dégradation du niveau des enseignants du au recrutement et à une "formation" indigente dans les IUFM, méthodes d’enseignement ineptes, abandon de l’exigence d’excellence chère à Finkielkraut, irruption du chaos sociétal dans l’enceinte scolaire, etc.), Michéa pointe la responsabilité du "marché".

 Pourquoi le marché s’accommode-t-il de la destruction de l’instruction –analphabétisme et inculture- d’une majorité d’élèves ? Parce que ces élèves sont de futurs consommateurs et qu’ils est vital pour l’économie qu’ils soient le moins cultivés et le plus aliénés possibles afin d’offrir le doisneau.jpgmoins de résistance possible aux campagnes publicitaires, l’enracinement culturel et l’érudition étant des obstacles évidents à l’efficacité de la propagande consumériste…

Pourquoi persiste-t-il quelques filières sélectives formant encore une élite de jeunes gens convenablement instruits et autonomes intellectuellement ? Parce que le marché a besoin de personnel compétent pour diriger ses bras armés que sont les grandes firmes internationales.

Pourquoi dans les centres de formation de jeunes footballeurs utilisent-on encore des méthodes efficaces et traditionnelles éprouvées depuis l’antiquité (effort, sélection d’une élite, travail acharné, compétition impitoyable, autorité et discipline) ? Parce que le marché a besoin de jeunes footballeurs efficaces et brillants pour rapporter un maximum d’argent dans un secteur d’activité particulièrement lucratif. Ici, point n’est question de "sciences de l'éducation", de respect de la personnalité de l’élève ou d’éducation au " vivre ensemble"…

Nul doute donc que s’il était vital pour le marché que les jeunes lycéens soient compétents et instruits, ils le seraient..

Mais peut-être Michéa voit-il -à tort- la main invisible du marché partout ?

 

« L’éducation de masse, qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes. La société moderne, qui a réussi à créer un niveau sans précédent d’éducation formelle, a également produit de nouvelles formes d’ignorance. Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision, de se rappeler les faits fondamentaux de l’histoire de leur pays, de faire de s déductions logiques, de comprendre des textes écrits autres que rudimentaires. »

Christopher Lasch. La culture du narcissisme, Climats 2000, P. 169.

 
« Quand la classe dominante prend la peine d’inventer un mot (« citoyen ») employé comme adjectif), et d’imposer son usage, alors même qu’il existe, dans le langage courant, un terme parfaitement synonyme (civique) et dont le sens est tout à fait clair, quiconque a lu Orwell comprend immédiatement que le mot nouveau devra, dans la pratique, signifier l’exact contraire du précédent. Par exemple, aider une vieille dame à traverser la rue était, jusqu’ici, un acte civique élémentaire. Il se pourrait, à présent, que le fait de la frapper pour lui voler son sac représente avant tout (avec, il est vrai, un peu de bonne volonté sociologique) une forme, encore un peu naïve, de protestation contre l’exclusion et l’injustice sociale, et constitue, à ce titre, l’amorce d’un geste citoyen. » 

JC Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Climats 2000, p.49.

 
« Pour ne prendre qu’un seul exemple, il y a bien peu de chances que le mot d’ordre « Volem viure al païs », qui fut, comme on l’a peut-être oublié, l’étendard des paysans du Larzac, soit désormais perçu par un jeune téléspectateur autrement que comme un appel Poujadiste à rejoindre la bête immonde. Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il est donc nécessaire de rappeler quelques faits.  C’est en 1983-1984 –comme on le sait- que la Gauche française dut officiellement renoncer  (car, dans la pratique, ce renoncement lui était, depuis longtemps, consubstantiel) à présenter la rupture avec le capitalisme comme l’axe fondamental de son programme politique. C’est donc à la même époque qu’elle se retrouva dans la difficile obligation intellectuelle d’inventer, à l’usage des électeurs, et tout particulièrement de la jeunesse, un idéal de substitution à la fois plausible et compatible avec la mondialisation, maintenant célébrée, du libre-échange. Ce sera, on le sait, la célèbre lutte « contre le racisme, l’intolérance et toutes les formes d’exclusion », lutte nécéssitant, bien sûr, parallèlement à la création sur ordre de diverses organisations antiracistes, la construction méthodique des conditions politiques (par exemple, l’institution, le temps d’un scrutin, du système proportionnel) destinées à permettre l’indispensable installation  d’un « Front National » dans le nouveau paysage politique. C’est donc précisément dans cette période très trouble et très curieuse –pour tout dire très Mitterrandienne- que les médias officiels furent amenés progressivement à donner au mot de populisme- qui appartenait jusque là à une tradition révolutionnaire estimable- le sens qui est désormais le sien sous le règne de la pensée unique. »

Michéa, Ibid, p.97.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Michéa, c'est ici. (Désolé, c'est le site d'ATTAC..)