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14/02/2007

Revel.

 J’ai rencontré Jean-François Revel il y a vingt ans. J’étais adolescent, une conscience politique proche de zéro, mais un intérêt évident déjà pour l’histoire, la politique et le débat d’idées. Je me souviens de cet émission Apostrophes du grassouillet B Pivot je ne sais plus à quelle occasion exacte, peut-être la venue en France de Soljenitsyne, ou l’affaire du passé occulté de collaborateur en Allemagne de Georges Marchais pendant la guerre. Je me rappelle ce corps impressionnant , surmonté de ce crâne impérial comme dit l'un de ses amis ; je me rappelle surtout, comme si j’y était, la patience, la courtoisie, le respect de l’interlocuteur dont faisait preuve Revel à l’égard de quelques apparatchiks haineux, grossiers et mal intentionnés. Cette façon de discourir, d’argumenter, de réfuter sans perdre son calme les assertions mensongères et fantaisistes des nervis du PCF venus en découdre m’avait stupéfié. Sans avoir jamais rien lu de cet homme j’avais compris que j’avais en face de moi un personnage exceptionnel de par son érudition courtoise, son courage (le PCF était autrement plus puissant et nuisible qu’aujourd’hui) et sa rigueur conceptuelle.

 Secondairement, je découvris et l’œuvre et le parcours exceptionnel de cet homme libre dont l’engagement antitotalitaire précoce (il fut résistant à une époque ou Sartre faisait jouer « les mouches », je crois bien, à Paris devant un parterre d’officiers Allemands et de collaborateurs notoires pour l’essentiel socialistes mais pas seulement ; à noter que ce haut fait d’armes du pape de l’existentialisme fut secondairement bien sur présenté comme œuvre de résistance par le camp progressiste…on a les hauts faits que l’on peut..) dans la lignée de Raymond Aron ne faiblit jamais.

 Présenté à tort comme un "anticommuniste primaire" (ce qui est déja en soi logiquement suffisant pour mériter l'estime de tout homme sain d'esprit), alors qu’il se définissait lui-même, au moins dans ses vertes années, comme un homme de gauche, Revel fut surtout libre sa vie durant, sans concession ni complaisance envers les totalitarismes (quels qu’ils soient), le mensonge, la manipulation. Il combattait les idées, non les hommes et sa conversion (raisonnée) au libéralisme lui attira toutes les haines, toutes les rancunes, même après sa mort (Pierre Boncenne dans son ouvrage-"Pour JF Revel"- signale qu’en 2007, encore, Revel n’est pas référencé dans la plupart des dictionnaires des intellectuels ou des écrivains Français).

 A un moment ou il aurait pu embrasser une carrière universitaire banale, comme tant d’autres, Revel l’érudit, le philosophe en rupture avec la tradition philosophique (lire « Pourquoi des philosophes ? »), l’historien, choisi l’exil, en Italie, au Mexique et cultiva l’amitié d’hommes illustres comme Breton, Octavio Paz ou Vargas Llosa.

 

Ecoutons Nicolas Baverez : « Rien chez Revel ne relève en effet de la ligne droit, sinon la pensée. Tout, dans cette figure par excellence de la raison et de la liberté, fut construit au terme d’un parcours chaotique et parfois douloureux, d’un cheminement résolument personnel, en marge des institutions, des hommes, des préjugés, ouvert sur le grand large, assumant délibérément le risque des hasards de l’histoire et des rencontres. »

Rupture avec sa famille, et notamment avec son père collaborateur, au travers de son engagement dans la résistance, rupture avec la religion, rupture avec l’université, rupture avec la gauche (une rencontre épique avec Mitterrand..), rupture enfin avec la bien-pensance, le mensonge, la manipulation, l’anti américanisme et le communisme bien sur, cet "opium des intellectuels".

Ecoutons Alain Besançon : « Quand il était aux prises, à la télévision, avec je ne sais quel adversaire d’une éclatante mauvaise foi, Revel prenait au sérieux ses arguments, qui n’en étaient pas, et les démontait patiemment, comme si l’esprit de vérité pouvait être commun entre ce personnage et lui. Cette bonté mettait une dyssimétrie entre Revel et ses partenaires habituels, elle lui nuisait, elle l’affaiblissait aux yeux du public, elle le grandissait aux yeux de ceux qui l’aimaient et ne supportaient que la bonne foi dans la controverse. »

 

Revel l’anticonformiste qui disait à Enzo Bettiza en mai 1968 dans son bureau éditorial surplombant la rue révolutionnaire : « A Budapest en 1956, on a vu de jeunes prolétaires, souvent fils de communistes, affronter dans une lutte à mort l’épouvantable pouvoir communiste de la deuxième superpuissance mondiale, réclamant des droits civiques, la liberté d’expression, l’indépendance nationale. Alors qu’ici, sous cette fenêtre, que voit-on ? Une masse de jeunes bourgeois aisés et pleins d’imagination qui, mettant en scène un combat théâtral avec un pouvoir paternaliste indulgent, réclament en substance l’annulation de ces droits et libertés civils qui cependant leur permettent de fracasser des vitrines et de dresser des barricades au nom d’une révolution impossible. La démocratie libérale est en soi vulnérable, elle invite presque à l’anarchie ludique et au chaos estudiantin : un luxe que seuls les enfants de sociétés riches et permissives peuvent se permettre. » 

 Brisons la avec Philippe Meyer qui se souvient de l’amour de Revel pour les troquets et bistros fameux : « Tu verras, le mardi, ils font un plat de côtes exceptionnel ! » lui disait ce grand homme.

(Toutes citations extraites de Commentaires/ Hiver 2007)

02/01/2007

Communisme et lassitude.

Par hasard, j’ai écouté ce jour la fin d’une émission de France Culture, « Du grain à moudre », souvent intéressante d’ailleurs, et consacrée –oh miracle- à JF Revel récemment disparu, à travers le livre hommage qu’ a écrit Pierre Boncenne (Pour JF Revel, Plon. 2006).

J’ai suivi avec plaisir la discussion entre Besançon, Sirinelli et Boncenne, malheureusement parasitée par les péroraisons de Julliard. Revel, présenté à tort par la clique gauchiste médiatico-intellectuelle comme anticommuniste primaire, était un érudit et un intellectuel de premier plan dont la constance de l’engagement antitotalitaire, dans la lignée de Raymond Aron, mérite le respect.

J’ai repensé à ce petit livre indispensable retraçant la correspondance entre Furet et Nolte (Fascisme et communisme, Plon. 1997) au sujet de la proximité idéologique des deux phénomènes totalitaires. Cette proximité, défendue par Revel dans nombre de ses ouvrages, mais aussi par Alain Besançon (Le malheur du siècle, Fayard) constitue toujours un tabou en France et explique sans doute en partie la haine tenace et l’ostracisme dont il fut l’objet, sa vie durant et même après sa mort.

Et c’est sans doute parce qu’il existe un négationnisme procommuniste beaucoup plus hypocrite, plus efficace et plus diffus que le négationnisme pronazi, sommaire et groupusculaire, mais dont le comité de vigilance citoyen anti fasciste nous rebat les oreilles à longueur de journée, la danger étant bien sur majeur.

L’organisation de la non repentance à l’égard du communisme aura été la principale activité politique de l’ultime décennie du siècle, comme l’organisation de sa non connaissance aura été celle des sept décennies antérieures.

Le succès périodique du négationnisme procommuniste donne à tout nouveau livre rétablissant certaines vérités, et en particulier esquissant le parallèle sacrilège entre communisme et nazisme, l’apparence de la découverte (Qu’on se rappelle le tollé de la gauche, y compris la gauche non communiste, après la sortie du « Livre noir du Communisme » et la sortie grotesque de Jospin à l’Assemblée...). Or on n’en finirait pas d’aligner les citations dés 1918 pour l’appréciation exacte du bolchevisme, et dés 1933 pour la comparaison entre les totalitarismes, ou figurent déjà des constats et des arguments sans appels, mais aussi sans grands résultats sur la reconnaissance des crimes communistes.

Dans son « Passé d’une illusion » (Robert Laffon, 1995), François Furet (ancien communiste lui même) consacre un long passage à l’historien Allemand Ernst Nolte, qui avait fait l’objet avant lui d’une condamnation sommaire en Allemagne et en Occident pour avoir théorisé cette comparaison interdite.

On se rappelle pourtant d’André Gide, écrivant dans son retentissant « Retour de l’URSS » : « Je doute qu’en aucun autre pays aujourd’hui, fut-ce l’Allemagne de Hitler, l’esprit sois moins libre, plus courbé, plus craintif, terrorisé qu ‘en URSS». Et le doyen respecté des historiens du fascisme, Renzo de Felice (plutôt de sensibilité socialiste d’ailleurs), déclarant en 1988 comparant Hitlérisme et communisme : « La vérité en conclusion est qu’il s’agit de phénomènes identiques ; Le totalitarisme caractérise et définit le Nazisme comme le communisme, sans aucune différence réelle ; peut-être l’ais-je dis avec brutalité, mais j’estime que le moment est venu de s’en tenir aux faits et de briser les mythes faux et inutiles. » (Actes du colloque « Le stalinisme dans la gauche Italienne », mars 1988)

Furet et Nolte évoquaient à la fin de leur correspondance la thèse de « l’inutilité du vrai », dont s’était déjà emparé Revel dans « La connaissance inutile » (Grasset, 1988). Alain Besançon dans son « Malheur du siècle », en s’interrogeant à son tour sur les raisons de « l’amnésie du communisme et de l’hypermnésie du nazisme », et s’il reconnaissait le caractère unique et incomparable de la Shoah, concluait que les différences entre les deux totalitarismes sont dans la nature des motivations et non dans le degré du mal.

Pour Revel, « Ce qui distingue le communisme du Nazisme, ce n’est pas le système du pouvoir, il est identique dans les deux cas. C’est que le premier est une utopie et non le second ; Lorsqu’ Hitler supprime la démocratie et crée des camps d’extermination, il réalise ses idées et tient ses promesses. Lorsque c’est Lénine qui le fait, il réalise le contraire de ses idées et trahit ses promesses. Mais il le nie au nom de l’avenir qu’il prétend radieux. L’utopie rend légitime la déconnexion entre les intentions et les actes » (Fin du siècle des ombres, Fayard)

C’est la le paradoxe de l’après communisme : pourquoi y a-t-il encore tant de « compagnons de route », alors qu’il n’y a plus de route ?