30/08/2008
Souvenir des Indes
« La vie du soldat est une vie très dure, parfois mêlée de réels dangers.. »
Les réactions extraordinaires, pour le moins excessivement compassionnelles, à la mort dramatique mais néanmoins peu surprenante de quelques soldats Français dans quelque pays exotique et dans la meilleure tradition coloniale, me rappellèrent instantanément cette assertion du pontifiant major Parker de l’état major du colonel Bramble durant la première guerre mondiale. Inutile d’en dire plus.
Du spirituel docteur O’Grady : « L’amour de l’humanité est un état pathologique d’origine sexuelle qui se produit fréquemment à l’époque de la puberté chez les intellectuels timides : le phosphore en excès dans l’organisme doit s’évacuer d’une façon quelconque. »
Le même major Parker décrivant la chasse à dos d’éléphant : « Vous êtes debout sur votre bête, solidement attaché par une jambe, et vous vous portez dans le vide tandis que l’éléphant galope : c’est vraiment très excitant.
-Je le crois sans peine, dit Aurelle.
-Oui, mais si vous l’essayez, dit le colonel à Aurelle avec sollicitude, n’oubliez pas de descendre par la queue aussi vite que vous pourrez si votre éléphant rencontre un terrain marécageux. Son mouvement instinctif, s’il sent le sol se dérober sous lui, est de vous saisir avec sa trompe et de vous déposer sur le sol devant lui pour s’agenouiller sur quelque chose de solide.
-J’y penserai, sir, dit Aurelle. »
Aurelle, le narrateur, dans son journal du 13 janvier 1917 : « Un petit téléphoniste anglais qui est venu réparer notre appareil me dit : « Les téléphones, Monsieur, c’est comme les femmes…au fond, personne n’y comprend rien…un beau jour, rien ne va plus…on cherche pourquoi, on ne trouve pas…puis on les secoue, on jure et tout va bien. » »
Le colonel Bramble lui-même, entre deux borborygmes : « Lorsque j’étais aux Indes, un vieux médecin militaire m’a donné pour toutes les maladies des remèdes dont je me suis bien trouvé : contre les battements de cœur, un grand verre de brandy ; contre les insomnies, trois ou quatre verres de porto après le dîner ; pour les maux d’estomac, une bouteille de champagne bien sec, à chaque repas. Et tant que l’on se porte bien, whisky and soda. »
17:56 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : les silences du colonel bramble, andré maurois
28/08/2008
too late, bruce
23:43 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : springsteen live 1975, and then she kissed me
25/08/2008
Créer du lien social
20:57 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : keitel, bad lieutnant
19/08/2008
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Des églises gonflables sur les plages italiennes
La première église gonflable a été montée, au mois de juillet, sur la plage de Poetto, à Cagliari, en Sardaigne. De 30 mètres de long sur 15 de large, de couleur noir et fuchsia, avec autel et confessionnaux, elle a été dressée en cinq minutes à l'aide de cinq compresseurs, précisait La Repubblica du 20 juillet. Le prêtre Andrea Brugnoli, à l'origine de l'affaire, a expliqué au quotidien italien qu'il va à la rencontre des fidèles et pallie ainsi l'absence d'église autour des sites de divertissement à la mode.
Ce prêtre des jeunes, qui s'acharne à évangéliser dans les endroits les plus insolites, des "auto grills" aux discothèques, dit avoir choisi d'installer son lieu de culte au beau milieu des baigneurs pour les inciter à la prière : l'église est ouverte la nuit, de 23 heures à 3 heures. Elle n'est pas seulement utilisée en Sardaigne, mais aussi sur les bords de la mer Adriatique, à Ravenne et à Bibione, dont la plage de 400 mètres de large s'étend sur 8 kilomètres, à deux pas d'un Luna Park.
L'idée viendrait d'Angleterre, où une société dévoile ses modèles gonflables sur Internet, photos de mariage à l'appui, dans un jardin privé.
17:21 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : église
15/08/2008
Matérialisme et déclin spirituel à l'Ouest
"Je suis très sincèrement heureux de me trouver ici parmi vous, à l'occasion du 327ème anniversaire de la fondation de cette université si ancienne et si illustre. La devise de Harvard est « VERITAS ». La vérité est rarement douce à entendre ; elle est presque toujours amère. Mon discours d'aujourd'hui contient une part de vérité ; je vous l'apporte en ami, non en adversaire.
Il y a trois ans, aux Etats-Unis, j'ai été amené à dire des choses que l'on a rejeté, qui ont paru inacceptables. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui acquiescent à mes propos d'alors.(...)
Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l'Ouest aujourd'hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d'où l'impression que le courage a déserté la société toute entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel mais ce ne sont pas ces gens là qui donnent sa direction à la vie de la société. Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours et plus encore, dans les considérations théoriques qu'ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d'agir, qui fonde la politique d'un Etat sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu'on se place. Ce déclin du courage, qui semble aller ici ou là jusqu'à la perte de toute trace de virilité, se trouve souligné avec une ironie toute particulière dans les cas où les mêmes fonctionnaires sont pris d'un accès subit de vaillance et d'intransigeance, à l'égard de gouvernements sans force, de pays faibles que personne ne soutient ou de courants condamnés par tous et manifestement incapables de rendre un seul coup. Alors que leurs langues sèchent et que leurs mains se paralysent face aux gouvernements puissants et aux forces menaçantes, face aux agresseurs et à l'Internationale de la terreur. Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant coureur de la fin ?
Quand les Etats occidentaux modernes se sont formés, fut posé comme principe que les gouvernements avaient pour vocation de servir l'homme, et que la vie de l'homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur (en témoigne la déclaration américaine d'Indépendance.)Aujourd'hui, enfin, les décennies passées de progrès social et technique ont permis la réalisation de ces aspirations : un Etat assurant le bien-être général. Chaque citoyen s'est vu accorder la liberté tant désirée, et des biens matériels en quantité et en qualité propres à lui procurer, en théorie, un bonheur complet, mais un bonheur au sens appauvri du mot, tel qu'il a cours depuis ces mêmes décennies.
Au cours de cette évolution, cependant, un détail psychologique a été négligé : le désir permanent de posséder toujours plus etCette compétition active et intense finit par dominer toute pensée humaine et n'ouvre pas le moins du monde la voie à la liberté du développement spirituel.
L'indépendance de l'individu à l'égard de nombreuses formes de pression étatique a été garantie ; la majorité des gens ont bénéficié du bien-être, à un niveau que leurs pères et leurs grands-pères n'auraient même pas imaginé ; il est devenu possible d'élever les jeunes gens selon ces idéaux, de les préparer et de les appeler à l'épanouissement physique, au bonheur, au loisir, à la possession de biens matériels, l'argent, les loisirs, vers une liberté quasi illimitée dans le choix des plaisirs. Pourquoi devrions-nous renoncer à tout cela ? Au nom de quoi devrait-on risquer sa précieuse existence pour défendre le bien commun, et tout spécialement dans le cas douteux où la sécurité de la nation aurait à être défendue dans un pays lointain ?
Même la biologie nous enseigne qu'un haut degré de confort n'est pas bon pour l'organisme. Aujourd'hui, le confort de la vie de la société occidentale commence à ôter son masque pernicieux.
La société occidentale s'est choisie l'organisation la plus appropriée à ses fins, une organisation que j'appellerais légaliste. Les limites des droits de l'homme et de ce qui est bon sont fixées par un système de lois ; ces limites sont très lâches. Les hommes à l'Ouest ont acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l'aide d'un expert. Tout conflit est résolu par le recours à la lettre de la loi, qui est considérée comme le fin mot de tout. Si quelqu'un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être opposé ; nul ne lui rappellera que cela pourrait n'en être pas moins illégitime. Impensable de parler de contrainte ou de renonciation à ces droits, ni de demander de sacrifice ou de geste désintéressé : cela paraîtrait absurde. On n'entend pour ainsi dire jamais parler de retenue volontaire : chacun lutte pour étendre ses droits jusqu'aux extrêmes limites des cadres légaux.
J'ai vécu toute ma vie sous un régime communiste, et je peux vous dire qu'une société sans référent légal objectif est particulièrement terrible. Mais une société basée sur la lettre de la loi, et n'allant pas plus loin, échoue à déployer à son avantage le large champ des possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s'en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l'homme.
Et il sera tout simplement impossible de relever les défis de notre siècle menaçant armés des seules armes d'une structure sociale légaliste.
Aujourd'hui la société occidentale nous révèle qu'il règne une inégalité entre la liberté d'accomplir de bonnes actions et la liberté d'en accomplir de mauvaises. Un homme d'Etat qui veut accomplir quelque chose d'éminemment constructif pour son pays doit agir avec beaucoup de précautions, avec timidité pourrait-on dire. Des milliers de critiques hâtives et irresponsables le heurtent de plein fouet à chaque instant. Il se trouve constamment exposé aux traits du Parlement, de la presse. Il doit justifier pas à pas ses décisions, comme étant bien fondées et absolument sans défauts. Et un homme exceptionnel, de grande valeur, qui aurait en tête des projets inhabituels et inattendus, n'a aucune chance de s'imposer : d'emblée on lui tendra mille pièges. De ce fait, la médiocrité triomphe sous le masque des limitations démocratiques.
Il est aisé en tout lieu de saper le pouvoir administratif, et il a en fait été considérablement amoindri dans tous les pays occidentaux. La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense contre les initiatives de quelques-uns. Il est temps, à l'Ouest, de défendre non pas temps les droits de l'homme que ses devoirs.
D'un autre côté, une liberté destructrice et irresponsable s'est vue accorder un espace sans limite. Il s'avère que la société n'a plus que des défenses infimes à opposer à l'abîme de la décadence humaine, par exemple en ce qui concerne le mauvais usage de la liberté en matière de violence morale faites aux enfants, par des films tout pleins de pornographie, de crime, d'horreur. On considère que tout cela fait partie de la liberté, et peut être contrebalancé, en théorie, par le droit qu'ont ces mêmes enfants de ne pas regarder er de refuser ces spectacles. L'organisation légaliste de la vie a prouvé ainsi son incapacité à se défendre contre la corrosion du mal. (...)
L'évolution s'est faite progressivement, mais il semble qu'elle ait eu pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l'homme, maître du monde, ne porte en lui aucun germe de mal, et tout ce que notre existence offre de vicié est simplement le fruit de systèmes sociaux erronés qu'il importe d'amender. Et pourtant, il est bien étrange de voir que le crime n'a pas disparu à l'Ouest, alors même que les meilleures conditions de vie sociale semblent avoir été atteintes. Le crime est même bien plus présent que dans la société soviétique, misérable et sans loi. (...)
La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage ? (...) Quelle responsabilité s'exerce sur le journaliste, ou sur un journal, à l'encontre de son lectorat, ou de l'histoire ? S'ils ont trompé l'opinion publique en divulguant des informations erronées, ou de fausses conclusions, si même ils ont contribué à ce que des fautes soient commises au plus haut degré de l'Etat, avons-nous le souvenir d'un seul cas, où le dit journaliste ou le dit journal ait exprimé quelque regret ? Non, bien sûr, cela porterait préjudice aux ventes. De telles erreurs peut bien découler le pire pour une nation, le journaliste s'en tirera toujours. Etant donné que l'on a besoin d'une information crédible et immédiate, il devient obligatoire d'avoir recours aux conjectures, aux rumeurs, aux suppositions pour remplir les trous, et rien de tout cela ne sera jamais réfuté ; ces mensonges s'installent dans la mémoire du lecteur. Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même ? La presse peut jouer le rôle d'opinion publique, ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d'Etat touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l'intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais c'est un slogan faux, fruit d'une époque fausse ; d'une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n'a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d'information. (...) Autre chose ne manquera pas de surprendre un observateur venu de l'Est totalitaire, avec sa presse rigoureusement univoque : on découvre un courant général d'idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d'esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d'intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d'une compétition mais d'une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant.
Sans qu'il y ait besoin de censure, les courants de pensée, d'idées à la mode sont séparés avec soin de ceux qui ne le sont pas, et ces derniers, sans être à proprement parler interdits, n'ont que peu de chances de percer au milieu des autres ouvrages et périodiques, ou d'être relayés dans le supérieur. Vos étudiants sont libres au sens légal du terme, mais ils sont prisonniers des idoles portées aux nues par l'engouement à la mode. Sans qu'il y ait, comme à l'Est, de violence ouverte, cette sélection opérée par la mode, ce besoin de tout conformer à des modèles standards, empêchent les penseurs les plus originaux d'apporter leur contribution à la vie publique et provoquent l'apparition d'un dangereux esprit grégaire qui fait obstacle à un développement digne de ce nom. Aux Etats-Unis, il m'est arrivé de recevoir des lettres de personnes éminemment intelligentes ... peut-être un professeur d'un petit collège perdu, qui aurait pu beaucoup pour le renouveau et le salut de son pays, mais le pays ne pouvait l'entendre, car les média n'allaient pas lui donner la parole. Voilà qui donne naissance à de solides préjugés de masse, à un aveuglement qui à notre époque est particulièrement dangereux. (...)
Il est universellement admis que l'Ouest montre la voie au monde entier vers le développement économique réussi, même si dans les dernières années il a pu être sérieusement entamé par une inflation chaotique. Et pourtant, beaucoup d'hommes à l'Ouest ne sont pas satisfaits de la société dans laquelle ils vivent. Ils la méprisent, ou l'accusent de ne plus être au niveau de maturité requis par l'humanité. Et beaucoup sont amenés à glisser vers le socialisme, ce qui est une tentation fausse et dangereuse. J'espère que personne ici présent ne me suspectera de vouloir exprimer une critique du système occidental dans l'idée de suggérer le socialisme comme alternative. Non, pour avoir connu un pays où le socialisme a été mis en oeuvre, je ne prononcerai pas en faveur d'une telle alternative. (...) Mais si l'on me demandait si, en retour, je pourrais proposer l'Ouest, en son état actuel, comme modèle pour mon pays, il me faudrait en toute honnêteté répondre par la négative. Non, je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la transformation de la mienne. On ne peut nier que les personnalités s'affaiblissent à l'Ouest, tandis qu'à l'Est elles ne cessent de devenir plus fermes et plus fortes. Bien sûr, une société ne peut rester dans des abîmes d'anarchie, comme c'est le cas dans mon pays. Mais il est tout aussi avilissant pour elle de rester dans un état affadi et sans âme de légalisme, comme c'est le cas de la vôtre. Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d'oppression, l'âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd'hui par les habitudes d'une société massifiée, forgées par l'invasion révoltante de publicités commerciales, par l'abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable.
Tout cela est sensible pour de nombreux observateurs partout sur la planète. Le mode de vie occidental apparaît de moins en moins comme le modèle directeur. Il est des symptômes révélateurs par lesquels l'histoire lance des avertissements à une société menacée ou en péril. De tels avertissements sont, en l'occurrence, le déclin des arts, ou le manque de grands hommes d'Etat. Et il arrive parfois que les signes soient particulièrement concrets et explicites. Le centre de votre démocratie et de votre culture est-il privé de courant pendant quelques heures, et voilà que soudainement des foules de citoyens Américains se livrent au pillage et au grabuge. C'est que le vernis doit être bien fin, et le système social bien instable et mal en point.
Mais le combat pour notre planète, physique et spirituel, un combat aux proportions cosmiques, n'est pas pour un futur lointain ; il a déjà commencé. Les forces du Mal ont commencé leur offensive décisive. Vous sentez déjà la pression qu'elles exercent, et pourtant, vos écrans et vos écrits sont pleins de sourires sur commande et de verres levés. Pourquoi toute cette joie ?
Comment l'Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ? A-t-il connu dans son évolution des points de non-retour qui lui furent fatals, a-t-il perdu son chemin ? Il ne semble pas que cela soit le cas. L'Ouest a continué à avancer d'un pas ferme en adéquation avec ses intentions proclamées pour la société, main dans la main avec un progrès technologique étourdissant. Et tout soudain il s'est trouvé dans son état présent de faiblesse. Cela signifie que l'erreur doit être à la racine, à la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident à l'époque moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident, née à la Renaissance, et dont les développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est devenue la base da la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée l'humanisme rationaliste, ou l'autonomie humaniste : l'autonomie proclamée et pratiquée de l'homme à l'encontre de toute force supérieure à lui. On peut parler aussi d'anthropocentrisme : l'homme est vu au centre de tout.
Historiquement, il est probable que l'inflexion qui s'est produite à la Renaissance était inévitable. Le Moyen Age en était venu naturellement à l'épuisement, en raison d'une répression intolérable de la nature charnelle de l'homme en faveur de sa nature spirituelle. Mais en s'écartant de l'esprit, l'homme s'empara de tout ce qui est matériel, avec excès et sans mesure. La pensée humaniste, qui s'est proclamée notre guide, n'admettait pas l'existence d'un mal intrinsèque en l'homme, et ne voyait pas de tâche plus noble que d'atteindre le bonheur sur terre. Voilà qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la pente dangereuse de l'adoration de l'homme et de ses besoins matériels.Tout ce qui se trouvait au-delà du bien-être physique et de l'accumulation de biens matériels, tous les autres besoins humains, caractéristiques d'une nature subtile et élevée, furent rejetés hors du champ d'intérêt de l'Etat et du système social, comme si la vie n'avait pas un sens plus élevé. De la sorte, des failles furent laissées ouvertes pour que s'y engouffre le mal, et son haleine putride souffle librement aujourd'hui. Plus de liberté en soi ne résout pas le moins du monde l'intégralité des problèmes humains, et même en ajoute un certain nombre de nouveaux.
Et pourtant, dans les jeunes démocraties, comme la démocratie américaine naissante, tous les droits de l'homme individuels reposaient sur la croyance que l'homme est une créature de Dieu. C'est-à-dire que la liberté était accordée à l'individu de manière conditionnelle, soumise constamment à sa responsabilité religieuse. Tel fut l'héritage du siècle passé.
Toutes les limitations de cette sorte s'émoussèrent en Occident, une émancipation complète survint, malgré l'héritage moral de siècles chrétiens, avec leurs prodiges de miséricorde et de sacrifice. Les Etats devinrent sans cesses plus matérialistes. L'Occident a défendu avec succès, et même surabondamment, les droits de l'homme, mais l'homme a vu complètement s'étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et la société. Durant ces dernières décennies, cet égoïsme juridique de la philosophie occidentale a été définitivement réalisé, et le monde se retrouve dans une cruelle crise spirituelle et dans une impasse politique. Et tous les succès techniques, y compris la conquête de l'espace, du Progrès tant célébré n'ont pas réussi à racheter la misère morale dans laquelle est tombé le XXème siècle, que personne n'aurait pu encore soupçonner au XIXème siècle.
L'humanisme dans ses développements devenant toujours plus matérialiste, il permit avec une incroyable efficacité à ses concepts d'être utilisés d'abord par le socialisme, puis par le communisme, de telle sorte que Karl Marx pût dire, en 1844, que « le communisme est un humanisme naturalisé. » Il s'est avéré que ce jugement était loin d'être faux. On voit les mêmes pierres aux fondations d'un humanisme altéré et de tout type de socialisme : un matérialisme sans frein, une libération à l'égard de la religion et de la responsabilité religieuse, une concentration des esprits sur les structures sociales avec une approche prétendument scientifique. Ce n'est pas un hasard si toutes les promesses rhétoriques du communisme sont centrées sur l'Homme, avec un grand H, et son bonheur terrestre. A première vue, il s'agit d'un rapprochement honteux : comment, il y aurait des points communs entre la pensée de l'Ouest et de l'Est aujourd'hui ? Là est la logique du développement matérialiste. (...)
Je ne pense pas au cas d'une catastrophe amenée par une guerre mondiale, et aux changements qui pourraient en résulter pour la société. Aussi longtemps que nous nous réveillerons chaque matin, sous un soleil paisible, notre vie sera inévitablement tissée de banalités quotidiennes. Mais il est une catastrophe qui pour beaucoup est déjà présente pour nous. Je veux parler du désastre d'une conscience humaniste parfaitement autonome et irréligieuse.
Elle a fait de l'homme la mesure de toutes choses sur terre, l'homme imparfait, qui n'est jamais dénué d'orgueil, d'égoïsme, d'envie, de vanité, et tant d'autres défauts. Nous payons aujourd'hui les erreurs qui n'étaient pas apparues comme telles au début de notre voyage. Sur la route qui nous a amenés de la Renaissance à nos jours, notre expérience s'est enrichie, mais nous avons perdu l'idée d'une entité supérieure qui autrefois réfrénait nos passions et notre irresponsabilité.
Nous avions placé trop d'espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu'on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. A l'Est, c'est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l'Ouest la foire du Commerce : ce qui est effrayant, ce n'est même pas le fait du monde éclaté, c'est que les principaux morceaux en soient atteints d'une maladie analogue. Si l'homme, comme le déclare l'humanisme, n'était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette terre n'en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d'acquisition, puis de joyeuse dépense des biens matériels, mais l'accomplissement d'un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l'expérience d'une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n'y étions entrés.
Il est impératif que nous revoyions à la hausse l'échelle de nos valeurs humaines. Sa pauvreté actuelle est effarante. Il n'est pas possible que l'aune qui sert à mesurer de l'efficacité d'un président se limite à la question de combien d'argent l'on peut gagner, ou de la pertinence de la construction d'un gazoduc. Ce n'est que par un mouvement volontaire de modération de nos passions, sereine et acceptée par nous, que l'humanité peut s'élever au-dessus du courant de matérialisme qui emprisonne le monde.
Quand bien même nous serait épargné d'être détruits par la guerre, notre vie doit changer si elle ne veut pas périr par sa propre faute. Nous ne pouvons nous dispenser de rappeler ce qu'est fondamentalement la vie, la société. Est-ce vrai que l'homme est au-dessus de tout ? N'y a-t-il aucun esprit supérieur au-dessus de lui ? Les activités humaines et sociales peuvent-elles légitimement être réglées par la seule expansion matérielle ? A-t-on le droit de promouvoir cette expansion au détriment de l'intégrité de notre vie spirituelle ?
Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une étape décisive dans son histoire, semblable en importance au tournant qui a conduit du Moyen-âge à la Renaissance. Cela va requérir de nous un embrasement spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite, comme elle a pu l'être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme il le fut à l'ère moderne.
Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous n'avons pas d'autre choix que de monter ... toujours plus haut d'avoir une vie meilleure, et la lutte en ce sens, ont imprimé sur de nombreux visages à l'Ouest les marques de l'inquiétude et même de la dépression, bien qu'il soit courant de cacher soigneusement de tels sentiments. ."
Alexandre Soljénitsyne, Le Déclin du courage, Harvard, 8 juin 1978
19:54 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : soljénitsyne
12/08/2008
Nettoyage ethnique à Tbilissi
23:03 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : trop picolé moi ce soir, culé chatte
Souviens-toi du Kosovo, petit Kouchner!
Il ne fait pas de doute que l'incursion des troupes Géorgiennes en Ossétie du Sud, province Géorgienne sécéssionniste soutenue par la Russie et sous tutelle tripartite depuis 1992 (Russe, Géorgienne et Osséte), a fourni aux Russes l'occasion inespérée de reprendre la main dans le Caucase en récupérant ces deux provinces d'Ossétie et d'Abkhasie, Russes puis Soviétiques du XVIIIéme siécle à 1991 avant d'être Géorgiennes.
L'indépendance accordée au Kosovo par les Occidentaux il y a peu au grand dam de la Serbie pro-Russe et au mépris d'une résolution des nations-unies assurant pourtant la souveraineté Serbe, fournit la légitimité nécessaire aux Russes qui n'attendaient que cela. Sur quelle légitimité internationale peuvent en effet maintenant s'appuyer aujourdhui Européens et Américains pour contester ce "droit d'ingérence" de la puissance tutéllaire régionale Russe qui, en plus, à la finesse de justifier son intervention en s'appuyant sur les accusations de "nettoyage ethnique" mené par les forces Géorgiennes, accusations qu'avait utilisé le camp Occidental pour justifier son ingérence dans le conflit du Kosovo...
Vu l'évolution du conflit, il parait probable que la Russie a déjà récupéré ces deux provinces Caucasiennes stratégiques (corridor pétrolier depuis l'Azerbaidjan vers la Turquie, donc l'aprovisionnement en pétrole européen..) et qu'elle va profiter de l'occasion pour faire tomber le régime pro-occidental de Tbilissi.
Ou comment les chancelleries occidentales ont enterré un peu vite la Russie, état phare de la civilisation orthodoxe, estimant naturelle l'intégration à l'OTAN et au monde occidental de la Géorgie, aprés l'Ukraine. La diplomatie occidentale Pandoresque pro Américaine est donc prise dans ses contradictions. Il n'y aura évidemment pas un soldat Américain sur le sol Géorgien, pas d'affrontement direct OTAN-Russie, les Américains et l'UE ayant trop besoin de la bonne volonté russe dans le dossier Iranien..
Pas non plus de résolution des nations unies à l'encontre de la Russie, droit de véto Russe oblige.
Les Occidentaux aux mains liées par leur diplomatie inepte en sont réduits à quémander la modération à l'ours Russe vis-à-vis du régime Géorgien en particulier, sachant que le sort des deux provinces sécéssionnistes Géorgiennes est sans doute déjà réglé. Réduits également à admirer l'habileté politique et stratégique des Russes de retour dans les affaires du monde...
Au milieu de ce combat diplomatique et géostratégique de Titans entre Russie et OTAN, évoquant les plus belles heures de la guerre froide, l'évacuation en catastrophe du ministricule Kouchner, dont l'égo surdimensionné est inversement proportionnel à l'insignifiance la plus stratosphrérique, pourrait fournir une occasion de sourire si tout cela ne mettait pas en évidence la minceur de la diplomatie Européenne. Mais comment disposer d'une diplomatie efficace lorsque l'on ne possède pas de forces armées crédibles et que le concept d'Europe se résume à un hypermarché vidé de toute substance historique et de toute dynamique identitaire? Les pays Baltes, la Pologne, l'Ukraine, tous les pays de l'ancien bloc Soviétique ont définitivement compris que l'Union Européenne n'existe pas, ni politiquement ni militairement en particulier, et que s'il venait aux Russes l'envie de s'étendre plus à l'Ouest, le secours ne viendrait jamais de Bruxelles mais éventuellement des USA via l'OTAN. Quelle belle démonstration.
Thucydide évoquant la puissance de la thalassocratie Athénienne-et par extension de toute cité Grecque- montrait que celle-ci émanait de trois éléments: la flotte, l'argent et les hauts murs qui ceinturaient la cité elle-même et la route qui menait au port du Pirée. Il n'est pas trop tard pour comprendre que l'Union Européenne ne dispose d'aucuns de ces éléments et ne peut donc aucunement peser dans ce type de conflit.
Contrairement à l'homo festivus occidental, l'homo poutinus n'est pas, lui, sorti de l'histoire. Et entend le montrer. Il y a encore des bonnes nouvelles.
17:51 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : géorgie, russie europe, otan, kouchner, thucydide
07/08/2008
« La Turquie en Europe ? Et pourquoi pas le Zimbabwe ? » (1)
Encore un serpent de mer. Ca fait un bail que je cogite la dessus.
Quelques réflexions, qui appellent évidemment la réfutation courtoise, bordel!
1/Arguments constamment mis en avant pour justifier l’intégration européenne de la Turquie : la propagande ordinaire.
-prouver que l’Europe n’est pas un club chrétien, montrer que les européens n’ont pas peur de l’islam, ne sont pas islamophobes, racistes, fermés ou crispés sur des notions identitaires suspectes…
Demande t-on à la Turquie, membre de l’Organisation de la Conférence Islamique -OCI- et de la Ligue Arabe, deux clubs musulmans s’il en est, de prouver qu’elle n’est pas un club musulman ? En quoi serait-il méprisable d’être un club chrétien ? La question ne se pose évidemment plus en ces termes dans cette Europe occidentale largement sécularisée, mais cela traduit bien le terrorisme intellectuel qui interdit aux européens de revendiquer une identité religieuse ou ne seraient-ce que des racines culturelles religieuses, par ailleurs évidentes pour ceux qui veulent bien ouvrir les yeux.
L’Europe est sans doute le continent qui accueillent le plus grand nombre de migrants, notamment en provenance du monde musulman et/ou africain et maghrébin. La Turquie, à l’inverse s’est constamment distinguée dans l’histoire par son hostilité à l’existence de toutes communautés non turques et non musulmanes sur son sol : disparition des communautés chrétiennes et juives, en particulier, historiquement antérieures à la présence Turque, et constamment opprimées voire exterminées (génocide Arménien et Assyro chaldéen). Une sorte d’épuration ethnique et religieuse ouvertement revendiquée mais curieusement soigneusement occultée en Occident…
-soutenir le seul état « laïc » du monde musulman, soutenir le réformisme musulman et la modernisation des sociétés musulmanes, ancrer la Turquie dans ces valeurs « laïques », démocratie et laïcité…
Sans doute le plus mauvais argument des Turcophiles. Faut-il alors intégrer Gaza, la Syrie ou l’Egypte pour soutenir le Fatah ou le parti Baas ou pour soutenir les réformateurs au sein du monde musulman ? C’est LEUR problème, pas le nôtre, de toute évidence.
Par ailleurs, les Turcs ne sont pas des Arabes et sont unanimement considérés, au sein de l’oumma, comme le grand pays apostat qui a trahi sa nature profonde islamo ottomane pour s’allier au Satan occidental et à Israël…Istanbul comme Londres ou Washington figurent parmi les ennemis du Jihad globalisé et de Ben Laden.
Si la Turquie doit résister au tropisme fondamentaliste et archaïque de l’islam, c’est en elle-même qu’elle devra trouver la possibilité de le faire et pas dans l’Occident.
-combattre le « choc des civilisations » Islam /Occident.
Huntington, souvent cité ou vilipendé par des cuistres, a en fait été peu lu. Ceux qui l’on lu savent qu’il ne prône absolument pas un choc des civilisation mais qu’il propose un nouveau paradigme d’interprétation des rapports internationaux rendu nécessaire par la disparition du monde totalitaire communiste et l’obsolescence de la grille de lecture habituelle monde libre/ monde communiste/ pays non alignés. Et propose une analyse basée sur la notion de civilisations. En ce sens, la civilisation Occidentale et la civilisation Islamique (qui ne se confond pas avec l’histoire de la Turquie ou des Arabes) sont évidemment très différentes et antagonistes à de nombreux égards.
Mais on peut se demander si de la Turquie ou de l’union européenne, ce n’est pas la première qui, en mettant constamment en avant cette référence civilisationnelle, ne cherche pas à culpabiliser l’Occident, déjà pétri d’ethno masochisme, pour mieux faire avancer ses intérêts.
-besoin d’immigration/ Europe vieillissante/ assurer équilibres des régimes sociaux et marché du travail…
L’Europe conterait aujourd’hui plus de 50 millions de musulmans, essentiellement originaire d’Afrique sub saharienne, du Maghreb et de la Turquie. L’intégration, l’assimilation, l’acculturation réussie de certains ne doit pas cacher le gâchis phénoménal et la bombe à retardement que constitue cette immigration massive d’hommes et de femmes dont les valeurs culturelles se situent aux antipodes des nôtres. Et contrairement à la doxa bien pensante (l’immigration est une chance), je crois profondément que ce déracinement de populations entières n’est une chance ni pour les européens ni pour les migrants eux-mêmes, qui je pense préféreraient de loin trouver les conditions d’une vie heureuse dans leurs pays. La France est un pays singulier au sein de l’UE, car depuis trente ans elle accueille des populations immigrées pour l’essentiel (plus de 90%) au titre du regroupement familial et non dans une perspective d’intégration par le travail. Ce qui va bien sur à l’encontre non seulement d’une intégration réussie mais aussi du dogme de l’immigré Turc ou Marocain qui va payer les retraites des Occidentaux par son travail.
Je ne crois pas que ce soit en faisant venir 2 ou 20 millions de Turcs d’Anatolie en Europe que l’on résoudra le problème démographique européen ou celui de l’équilibre des comptes sociaux, qui ont par contre toutes les chances d’être un peu plus essorés par des populations fortes consommatrices de biens sociaux.
Quant à l’intérêt -évident et crucial- d’une politique nataliste à l’échelle continentale, européenne, il semble que cela n’intéresse pas nos élites, pour qui l’homme n’est en dernière analyse qu’une variable d’ajustement démographique ou économique, sans la moindre dimension culturelle ou historique.
2/Questions souvent occultées, enjeux bien réels.
-un marché économique potentiel énorme : 75 millions de turcs (100 millions à l’horizon 2025), un pays largement sous développé à la population largement sous équipée en biens de consommation courante. Donc une ouverture économique très significative pour le grand marché européen. Dans le même temps, l’intégration de ce pays à la zone euro coûterait au contribuable européen entre 25 et 30 milliards/an de fonds structurels, dans un pays massivement corrompu (encore plus que la France, c’est dire) dont on sait qu’une bonne partie de ces fonds finirait sur les comptes suisses de la nomenklatura locale et/ ou de quelques réseaux maffieux…
-un intérêt géostratégique majeur
Énergétique d’abord : la Turquie occupe une position stratégique à la charnière des continents européen et asiatique, mais également par sa position centrale vis-à-vis de la mer noire et la mer Caspienne, par ou transitent une grande partie des flux pétroliers et gaziers approvisionnant les pays européens ; la Turquie en Europe serait donc, pour certains, un moyen de sécuriser une partie de nos besoins énergétiques mais aussi de contrôler une partie des flux transitant par ce pays. Parallèlement la Turquie contrôle aussi deux fleuves (Tigre et l’Euphrate) importants pour les besoins en eau du proche et du moyen orient (Irak et Syrie en particulier).
Militaire : l’armée Turque est la deuxième armée de l’OTAN après les USA en terme de personnels (600 000 hommes) et d’équipement, le gendarme du moyen orient par sa situation géographique (interface entre occident et orient, détroits du Bosphore et des Dardanelles, contrôle de la mer caspienne et de la mer noire). Elle est depuis l’après guerre un allié fidèle (sauf pour les deux dernières guerres Américaines au proche orient) de l’Occident et d’Israél (ce qui ne contribue évidemment pas à améliorer ses relations avec les pays arabo musulmans) et donc une pièce clef dans le jeu stratégique Américain en Europe et au proche et au moyen orient. La guerre en Irak et la « guerre contre le terrorisme », la sécurité « non négociable » d’Israël, les projets Américains de « démocratisation » du proche orient, la perspective d’un conflit armé avec l’Iran, rendent ce pays incontournable pour l’Europe, mais aussi et surtout pour les USA et l’OTAN.
-détruire définitivement, en intégrant 75 millions de Turcs musulmans et un pays asiatique, toute approche civilisationnelle ou culturelle de l’Europe, au profit d’un simple zone de libre échange. Ce faisant entraver durablement voire définitivement l’émergence d’une Europe puissance au sens entité politique et militaire en tant que concurrent naturel du leadership américain en Europe et dans le monde.
-protéger les minorités ethniques/religieuses non musulmanes en Turquie : notamment les chrétiens (orthodoxes, arméniens ou assyro chaldéens), mais aussi les quelques juifs rescapés de la politique d’épuration ethnique et religieuse constante depuis l’instauration du califat et poursuivie par le régime laïc d’Atatürk.
-il est possible d’imaginer également une stratégie européenne à la Bat Yéor : intégrer et anticiper l’islamisation progressive du continent Européen, et la dhimmitude programmée des non musulmans en Europe, stratégie à long terme non dénuée de pensées électoralistes à court terme s’appuyant sur le « muslim vote » : ne pas déplaire, voire conquérir le vote musulman de plus en plus significatif et homogène.
-quid de la non reconnaissance de la république chypriote, membre à part entière de l'Union Européenne, par la Turquie. Peut-on demander à être admis dans une communauté dont on refuse de reconnaitre un membre? Quid de l'occupation militaire illégale par la Turquie du nord de Chypre, membre de l'UE, au mépris des injonctions communautaires et des nations unies?
-accessoirement, le "respect des droitdlom", la "reconnaissance du génocide arménien", et la "lutte contre la pratique généralisée de la torture", me paraissent largement secondaires, au regard des considérations précédentes...Mais bon, ce sont quelques uns des critères dits de Copenhague, déterminants dans la négociation en cours.
3/les vraies questions.
-qu’est ce que l’Europe ?
Pour de nombreux responsables politiques de premier plan (Chirac, Monod, Jouyet, Kouchner, Barroso,etc.), l’Europe ne doit pas comporter de dimension identitaire et rester un projet –a minima- d’union basé sur l’économie de marché, la démocratie libérale et le culte des droits de l’homme, ce qui n’est évidemment pas négligeable. Nombreux sont ceux qui considèrent à rebours de cette vision minimaliste et utilitariste, qu’il ne peut y avoir de projet européen sans référence identitaire spécifique : pour Emmanuel Levinas, l’Europe c’était « La bible plus les Grecs », pour Paul Valéry, ne pouvaient prétendre au titre de peuples européens que ceux qui avaient baigné dans l’hellénisme, la Romanité et le christianisme, pour Rémi Brague enfin, de la même façon, la civilisation européenne reste basée sur l’héritage antique philosophique Grec, le droit romain et le christianisme. L’Europe est la résultante de cette filiation unique dans l’histoire de l’humanité.
En définitive, concernant cette question de l’identité européenne, il me parait au minimum léger d’imaginer que nous puissions faire l’économie de cette réflexion sur ce que signifie l’idée même d’Europe et au maximum, suicidaire de nier la singularité et la spécificité de notre culture commune.
Or il ne fait aucun doute que la Turquie ne partage en rien cet héritage culturel européen et la question de son intégration dans l’union européenne ne devrait même pas se poser si l’on met au premier plan l’identité culturelle et non pas des considérations économiques.
-et la Turquie ?
Un grand pays asiatique en voie de développement déchiré (le mot est de Samuel Huntington) entre son identité profonde islamo ottomane et son ouverture –relative et récente- à l’Occident.
Au regard de l’oumma, la Turquie est située dans le dar-al-islam, c’est à dire en terre d’islam comme l’Arabie saoudite, le Maroc ou l’Égypte. Un demi siècle de laïcisation et d’occidentalisation Kémaliste à marche forcée n’a pas changé la nature profonde de ce pays de 80 millions de musulmans.
Nombreux sont ceux qui arguent de cette courte parenthèse Kémaliste, au regard de la longue histoire de ce pays, pour justifier son intégration européenne. En oubliant que la Turquie fut celle qui, après la colonisation arabo-musulmane du pourtour méditerranéen durant le VIIème siècle, instaurât le califat Ottoman durant sept siècles jusqu’en 1923 et qui alors régnait sans partage sur la communauté des croyants.
Sur le plan militaire, il s’agit de la deuxième armée de l’Otan après les USA (plus de 600 000 hommes en activité, sur équipés).
Sur le plan démographique, la Turquie est le pays le plus peuplé d’Europe (les projections démographiques sont de 100 millions de turcs à l’horizon 2025), largement au dessus des piliers de l’union européenne que sont l’Allemagne et la France. Ce qui implique sur le plan politique, une représentation au parlement européen supérieure à celle de ces mêmes pays (100 députés turcs pour 100 millions d’habitants).
Sur le plan géopolitique, il s’agit probablement de la région la plus dangereuse du monde (la « zone des tempêtes » comme disent les spécialistes), avec des frontières communes avec quelques uns des pays les plus instables et les plus menaçants au monde : l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Avec potentiellement l’intégration virtuelle de la communauté turcophone forte de plus de 150 millions d’hommes (Azerbaïdjan, Turkménistan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Tadjikistan), dont la Turquie serait le cheval de Troie.
Il est effectivement une Turquie moderne (Istanbul, Izmir), occidentalisée, progressiste, laïque, militaire, démocratique, mais cette Turquie est largement minoritaire géographiquement, démographiquement et culturellement, et ne doit pas masquer le reste de ce pays profondément rural, archaïque et sous développé, au tropisme asiatique et musulman.
L’histoire récente de ce pays (chute de l’empire ottoman et du califat au lendemain de la première guerre mondiale, révolution kémaliste, fermeture progressive de la parenthèse kémaliste depuis la fin des années cinquante, accélération de la réislamisation du pays avec l’accession au pouvoir de l’AKP et de son leader charismatique Erdogan, (islamiste revendiqué et grand admirateur de Gubuldin Hekmatyar, chef islamiste afghan et principal allié de Ben Laden et de la mouvance islamiste fondamentaliste révolutionnaire…)) plaide plutôt pour le retour à court ou moyen terme de ce pays singulier dans le monde musulman sous forme d’une théocratie plus ou moins démocratique ou bien d’un régime plus radical, mais certainement pas l’ancrage dans ces valeurs occidentales, superficielles, qui n’ont pas changé l’âme Turque, islamo ottomane par essence.
Alors?
Pourquoi pas le Zimbabwe?
Parce que le Zimbabwe n’est pas européen, comme la Turquie.
Parce que quels que soient les arguments économiques, stratégiques, sociaux, etc ., parfois pertinents, en faveur d’une intégration de ce pays à l’union européenne, les Turcs ne sont pas par essence des européens ni des occidentaux.
Parce que les hommes ne sont pas des objets inertes dépourvus d’identité que l’on peut déplacer et répartir impunément au gré des nécessités économiques ou politiques.
Parce que l’appartenance ethnique, religieuse, culturelle, spirituelle est déterminante dans l’être et l’agir de chacun.
Nos « élites » technocratiques mondialisées, donc anomiques, seraient bien inspirées de ne pas l’oublier.
(1) J Chirac.
14:00 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : turquie, europe
06/08/2008
le cauchemar climatisé
Je sais bien que l’essentiel a déjà été dit sur les quelques réactions proprement incroyables de nombreux dirigeants politiques nationaux et supra nationaux européens après le non Irlandais au référendum sur le « traité simplifié de Lisbonne », en fait simple version allégée du TCE que les Français rejetèrent il y a 3 ans, appellant à faire revoter ce peuple libre (Sarkosy, Jouyet, Barroso, etc.).
Métaphore très juste du menhir gaulois sur le match de coupe qu’il faut rejouer jusqu’à ce que le résultat soit bien celui escompté…
Il y a plusieurs choses significatives la dedans :
- d’abord le mépris extraordinaire de cette « nouvelle classe » (comme dit Alain de Benoist) à l’égard des peuples européens, théoriquement souverains ; c’est bien au nom de la démocratie -qu’en réalité ils abhorrent- que ces petits clercs enterrent l’expression de la volonté populaire. On croit rêver…
Et tout y passe : la complexité des textes présentés (la faute à qui ?) –sous entendu l’ignorance et la bêtise crasse des simples citoyens, la « pollution » du scrutin par des questions annexes (les citoyens incapables de faire la part des choses et de répondre à la question posée...), un vote érroné par manque de pédagogie (sous entendu si ces messieurs nous avaient mieux expliqué la chose, notre vote eut été correct...), la dé légitimation de tout scrutin direct au nom du populisme supposé de tout référendum populaire –et il faut entendre par populisme Boulanger, Poujade, Pétain, Hitler à Nuremberg ou D'Annunzio à Fiume ! On sent bien –en définitive- que à l’instar de ces bourgeois parvenus ennoblis, constituants ou conventionnels acquis aux philosophes des Lumières, qui disaient en 1789 représenter le peuple mais qui le méprisaient souverainement et pétaient de trouille devant quelques radicaux du couvent des Jacobins, cette nouvelle élite éclairée ne tolère l’irruption d’une manifestation populaire que lorsque celle-ci est conforme à ses aspirations : le peuple oui, mais s’il ferme sa gueule.
Ce projet européen, qui semble se réduire au plus petit dénominateur commun (démocratie libérale, économie de marché et droits de l'homme) serait pourtant logiquement simple à défendre: énoncer clairement la nature du projet politique et économique (cf infra), aborder clairement les limites géographiques de cet ensemble et exposer la répartition future des pouvoirs entre les états et la commission européenne. Or ces points, capitaux, ne sont jamais clairement discutés. Pourquoi?
-la fracture de plus en plus évidente entre cette élite technocratique politicienne et mondialisée (je généralise un peu) et les peuples eux-mêmes : en France comme en Irlande, la représentation nationale était majoritairement acquise à cet avenir radieux européen alors que les peuples votèrent majoritairement contre. Comment mieux illustrer le fait que ces messieurs, par ailleurs individuellement souvent respectables et cohérents, ne représentent plus en rien les peuples européens ?
Une sorte d’impasse démagogique, d’avatar démocratique, ou l'abus de références démocratiques dans les discours masque en fait le caractère de plus en plus virtuel des conduites démocratiques. Ou d’hyper démocratie, comme dit Renaud Camus.
« A Strasbourg, Nicolas Sarkozy tente de surmonter la panne de l'Europe » (Le Monde 10/07/08). En panne, certes, mais avant tout de sens et de légitimité populaire.
-la veulerie de ces hommes et de ces femmes qui n’ont que « démocratie », « république », « citoyen », « ordre juste », « volonté populaire », etc., à la bouche à chacune de toutes leurs interventions médiatiques ineptes pour s’asseoir ensuite dessus avec une tartuferie stratosphérique. Un cauchemar…
Qui m’en rappela un autre, le cauchemar climatisé qu’écrivit Henry Miller au lendemain de la seconde guerre mondiale, et dans lequel il dépeignait sans fard, comme à son habitude, la dérive technocratique et anomique de l’Amérique -notamment le vieux Sud- qu’il aimait.
Je crois bien que pour un nombre croissant d’européens, l’Europe, cette belle idée, cette référence identitaire, civilisationnelle fondamentale, est en train de devenir ce cauchemar climatisé que vomissait Miller.
Bien loin de cette démesure que détestaient les Anciens (Sarko en talonnettes courrant de droite à gauche, tel Xerxés faisant battre les flots), calé dans un fauteuil de jardin, les pieds sur un muret surplombant la mer végétale d'un pré aux grandes herbes, la fraîcheur qui monte du sol avec la nuit, mes amis les grillons, un bruit de tracteur au loin, le silence... Deux grands chênes centenaires, au milieu, de vieux barbelés rouillés sur lesquels je m'ouvrai la gorge un soir d'été au grand dam de la chaumière, ces collines bleuissantes aux silhouettes immuables que je parcourais à vélo, enfant. Le temps immobile, un remède contre l'hubris.
Le hoplite de Laconie ou d'Ionie avait peut-être le même genre de regard, au milieu de ses oliviers ou de sa vigne: pas de combat avant la récolte, ou alors une campagne brève qui permette de revenir à temps pour terminer le travail et retrouver les siens. Et s'il faut mourir, mourir dignement, comme un grec au combat.
E il naufragar m'e dolce in questo mare.
17:43 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henry miller, europe, technocratie, salope en string, sarkofacho, rachida dati lesbienne?