28/10/2007
I'm no good
Meet you downstairs in the bar and heard
Your rolled up sleeves and your skull t-shirt
You say what did you do with him today ?
And sniff me out like I was Tanqueray
Cause you're my fella, my guy
Hand me your stella and fly
By the time I'm out the door
You're ten men down like Roger Moore
I cheated myself
Like I knew I would
I told ya, I was trouble
You know that I'm no good
Upstairs in bed, with my ex boy
He's in the place, but I can't get joy
Thinking of you in the final throes, this is when my buzzer goes
Run out to meet you, chips and bitter
You say we'll marry 'cause you're not bitter
There'll be none of him no more
I cried for you on the kitchen floor
I cheated myself
Like I knew I would
I told ya, I was trouble
You know that I'm no good
Sweet reunion, Jamaica and Spain
We're like how we were again
I'm in the tub you on the seat
Lick your lips as I soak my feet
Then you notice little carpet burn
My stomach drop yeah and my guts churn
You shrug and it's the worst
You truly stuck the knife in first
I cheated myself like I knew I would
I told ya I was trouble, you know that I'm no good
I cheated myself, like I knew I would
I told ya I was trouble, you know that I'm no good.
16:10 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : amy winehouse
Eloge du seppuku
« A notre époque, tout repose sur la prémisse qu’il vaut mieux vivre aussi longtemps que possible. Jamais dans l’histoire, l’espérance de vie n’a été aussi longue et devant nous se déroule la monotonie des perspectives que l’on offre à l’humanité. L’idéologie du foyer individuel n’enthousiasme le jeune qu’aussi longtemps qu’il se démène pour se trouver un petit nid à soi. Sitôt trouvé, l’avenir ne lui propose plus rien – sinon de faire cliqueter son boulier à mesure qu’il amasse l’argent de sa retraite, puis la paix, l’ennui et la décrépitude de la vieillesse. Telle est l’image qui accompagne dans l’ombre l’Etat-providence et qui menace le cœur de l’espère humaine. Dans les pays scandinaves, le besoin de travailler a dès à présent disparu et assurer la subsistance de ses vieux jours n’est plus un sujet d’inquiétude ; accablés d’ennui et d’amertume à ne s’entendre demander par la société rien d’autre que de « se reposer », un nombre extraordinaire de vieillards se suicident. Et en Angleterre, devenue après la guerre le modèle idéal en matière d’assistance, le désir de travailler s’est perdu et s’en sont suivis le déclin et la décrépitude de l’industrie. »
Mishima: Le Japon moderne et l'éthique samouraï (Arcades Gallimard, 1985, p.32)
11:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mishima
27/10/2007
Lettre de Simone Weil à Bernanos, 1938.
Monsieur,
Quelque ridicule qu'il y ait à écrire à un écrivain, qui est toujours, par la nature de son métier, inondé de lettres, je ne puis m'empêcher de le faire après avoir lu "Les Grands Cimetières sous la lune". Non que ce soit la première fois qu'un livre de vous me touche, le "Journal d'un curé de campagne" est à mes yeux le plus beau, du moins de ceux que j'ai lus, et véritablement un grand livre. Mais si j'ai pu aimer d'autres de vos livres, je n'avais aucune raison de vous importuner en vous l'écrivant. Pour le dernier, c'est autre chose ; j'ai eu une expérience qui répond à la vôtre, quoique bien plus brève, moins profonde, située ailleurs et éprouvée, en apparence - en apparence seulement -, dans un tout autre esprit.
Je ne suis pas catholique, bien que, - ce que je vais dire doit sans doute sembler présomptueux à tout catholique, de la part d'un non-catholique, mais je ne puis m'exprimer autrement - bien que rien de catholique, rien de chrétien ne m'ait jamais paru étranger. Je me suis dit parfois que si seulement on affichait aux portes des églises que l'entrée est interdite à quiconque jouit d'un revenu supérieur à telle ou telle somme, peu élevée, je me convertirais aussitôt. Depuis l'enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient des couches méprisées de la hiérarchie sociale, jusqu'à ce que j'aie pris conscience que ces groupements sont de nature à décourager toutes les sympathies. Le dernier qui m'ait inspiré quelque confiance, c'était la CNT espagnole. J'avais un peu voyagé en Espagne - assez peu - avant la guerre civile, mais assez pour ressentir l'amour qu'il est difficile de ne pas éprouver envers ce peuple ; j'avais vu dans le mouvement anarchiste l'expression naturelle de ses grandeurs et de ses tares, de ses aspirations les plus et les moins légitimes. La CNT, la FAI étaient un mélange étonnant, où on admettait n'importe qui, et où, par suite, se coudoyaient l'immoralité, le cynisme, le fanatisme, la cruauté, mais aussi l'amour, l'esprit de fraternité, et surtout la revendication de l'honneur si belle chez les hommes humiliés ; il me semblait que ceux qui venaient là animés par un idéal l'emportaient sur ceux que poussait le goût de la violence et du désordre. En juillet 1936, j'étais à Paris. Je n'aime pas la guerre ; mais ce qui m'a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c'est la situation de ceux qui se trouvent à l'arrière. Quand j'ai compris que, malgré mes efforts, je ne pouvais m'empêcher de participer moralement à cette guerre, c'est à dire de souhaiter tous les jours, toutes les heures, la victoire des uns, la défaite des autres, je me suis dit que Paris était pour moi l'arrière, et j'ai pris le train pour Barcelone dans l'intention de m'engager. C'était au début d'août 1936.
Un accident m'a fait abréger par force mon séjour en Espagne. J'ai été quelques jours à Barcelone ; puis en pleine campagne aragonaise, au bord de l'Ebre, à une quinzaine de kilomètres de Saragosse, à l'endroit même où récemment les troupes de Yagüe ont passé l'Ebre ; puis dans le palace de Sitgès transformé en hôpital ; puis de nouveau à Barcelone ; en tout à peu près deux mois. J'ai quitté l'Espagne malgré moi et avec l'intention d'y retourner : par la suite, c'est volontairement que je n'en ai rien fait. Je ne sentais plus aucune nécessité intérieure de participer à une guerre qui n'était plus, comme elle m'avait paru être au début, une guerre de paysans affamés contre les propriétaires terriens et un clergé complice des propriétaires, mais une guerre entre la Russie, l'Allemagne et l'Italie.
J'ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre ; je l'avais respirée. Je n'ai rien vu ni entendu, je dois le dire, qui atteigne tout à fait l'ignominie de certaines des histoires que vous racontez, ces meurtres de vieux paysans, ces "ballilas" faisant courir des vieillards à coups de matraques. Ce que j'ai entendu suffisait pourtant. J'ai failli assister à l'exécution d'un prêtre ; pendant les minutes d'attente, je me demandais si j'allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d'intervenir ; je ne sais pas encore ce que j'aurais fait si un hasard heureux n'avait empêcher l'exécution.
Combien d'histoires se pressent sous ma plume... Mais ce serait trop long ; à quoi bon? Une seule suffira. J'étais à Sitgès quand sont revenus, vainqueurs, les miliciens de l'expédition de Majorque. Ils avaient été décimés. Sur quarante jeunes garçons partis de Sitgès, neuf étaient morts. On ne le sut qu'au retour des trentes et un autres. La nuit même qui suivit, on fit neuf expéditions punitives, on tua neuf fascistes ou soi-disant tels, dans cette petite ville où, en juillet, il ne s'était rien passé. Parmi ces neuf, un boulanger d'une trentaine d'années, dont le crime était, m'a-t-on dit, d'avoir appartenu à la milice des "somaten" ; son vieux père, dont il était le seul enfant et le seul soutien, devint fou. Une autre encore : en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. Aussitôt pris, tout tremblant d'avoir vu tuer ses camarades à ses côtés, il dit qu'on l'avait enrôlé de force. On le fouilla, on trouva sur lui une médaille de la Vierge et une carte de phalangiste ; on l'envoya à Durruti, chef de la colonne, qui, après lui avoir exposé pendant une heure les beautés de l'idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir et s'enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l'avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. Durruti donna à l'enfant vingt-quatre heures de réflexion ; au bout de vingt-quatre heures, l'enfant dit non et fut fusillé. Durruti était pourtant à certains égards un homme admirable. La mort de ce petit héros n'a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l'aie apprise qu'après coup. Ceci encore : dans un village que rouges et blancs avaient pris, perdu, repris, reperdu je ne sais combien de fois, les miliciens rouges, l'ayant repris définitivement, trouvèrent dans les caves une poignée d'êtres hagards, terrifiés et affamés, parmi lesquels trois ou quatre jeunes hommes. Ils raisonnèrent ainsi : si ces jeunes hommes, au lieu d'aller avec nous la dernière fois que nous nous sommes retirés, sont restés et ont attendu les fascistes, c'est qu'ils sont fascistes. Ils les fusillèrent donc immédiatement, puis donnèrent à manger aux autres et se crurent très humains. Une dernière histoire, celle-ci de l'arrière : deux anarchistes me racontèrent une fois comment, avec des camarades, ils avaient pris deux prêtres ; on tua l'un sur place, en présence de l'autre, d'un coup de revolver, puis, on dit à l'autre qu'il pouvait s'en aller. Quand il fut à vingt pas, on l'abattit. Celui qui me racontait l'histoire était très étonné de ne pas me voir rire.
A Barcelone, on tuait en moyenne, sous forme d'expéditions punitives, une cinquantaine d'hommes par nuit. C'était proportionnellement beaucoup moins qu'à Majorque, puisque Barcelone est une ville de près d'un million d'habitants ; d'ailleurs il s'y était déroulé pendant trois jours une bataille de rues meurtrière. Mais les chiffres ne sont peut-être pas l'essentiel en pareille matière. L'essentiel, c'est l'attitude à l'égard du meurtre. Je n'ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener - ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes et inoffensifs - je n'ai jamais vu personne exprimer même dans l'intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l'égard du sang inutilement versé. Vous parlez de la peur. Oui, la peur a eu une part dans ces tueries ; mais là où j'étais, je ne lui ai pas vu la part que vous lui attribuez. Des hommes apparemment courageux - il en est un au moins dont j'ai de mes yeux constaté le courage - au milieu d'un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de "fascistes" - terme très large. J'ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d'êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n'est rien de plus naturel à l'homme que de tuer. Quand on sait qu'il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. Si par hasard on éprouve d'abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l'étouffe de peur de paraître manquer de virilité. Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d'âme qu'il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l'ai rencontré nulle part. J'ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n'auraient pas eu l'idée d'aller eux-même tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l'avenir aucune estime.
Une telle atmosphère efface aussitôt le but même de la lutte. Car on ne peut formuler le but qu'en le ramenant au bien public, au bien des hommes - et les hommes sont de nulle valeur. Dans un pays où les pauvres sont, en très grande majorité, des paysans, le mieux-être des paysans doit être un but essentiel pour tout groupement d'extrême gauche ; et cette guerre fut peut-être avant tout, au début, une guerre pour et contre le partage des terres. Eh bien, ces misérables et magnifiques paysans d'Aragon, restés si fiers sous les humiliations, n'étaient même pas pour les miliciens un objet de curiosité. Sans insolences, sans injures, sans brutalité - du moins je n'ai rien vu de tel, et je sais que vol et viol, dans les colonnes anarchistes, étaient passibles de la peine de mort - un abîme séparait les hommes armés de la population désarmée, un abîme tout à fait semblable à celui qui sépare les pauvres et les riches. Cela se sentait à l'attitude toujours un peu humble, soumise, craintive des uns, à l'aisance, la désinvolture, la condescendance des autres.
On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l'ennemi en moins. Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. Depuis que j'ai été en Espagne, que j'entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l'Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l'atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. Vous êtes royaliste, disciple de Drumont - que m'importe? Vous m'êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d'Aragon - ces camarades que, pourtant, j'aimais.
Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m'est également allé au coeur. J'avais dix ans lors du traité de Versailles. Jusque-là j'avais été patriote avec toute l'exaltation des enfants en période de guerre. La volonté d'humilier l'ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d'une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu'il peut subir. Je crains de vous avoir importuné par une lettre aussi longue. Il ne me reste qu'à vous exprimer ma vive admiration.
S. Weil.
Mlle Simone Weil,
3, rue Auguste-Comte, Paris (VIème).
P.s. : C'est machinalement que je vous ai mis mon adresse. Car, d'abord, je pense que vous devez avoir mieux à faire que de répondre aux lettres. Et puis je vais passer un ou deux mois en Italie, où une lettre de vous ne me suivrait peut-être pas sans être arrêtée au passage.
[ Simone Weil – « Lettre à Georges Bernanos 1938 » - in " Bulletin des amis de Georges Bernanos ", repris dans " Ecrits historiques et politiques ", Gallimard et dans " Œuvres ", Quarto Gallimard. ]
*
NB: concernant la situation politique Espagnole à la veille de la guerre civile, j'avais écrit ce post il y a quelques mois, à mon avis toujours pertinent: http://hoplite.hautetfort.com/tag/pio+moa
10:10 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : guerre d'espagne, bernanos, simone weil, 1936
20/10/2007
E il naufragar m’è dolce in questo mare
E questa siepe, che da tanta parte
Dell’ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo; ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando: e mi sovvien l’eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Così tra questa
Immensità s’annega il pensier mio:
E il naufragar m’è dolce in questo mare. »
(L'infinito, Giacomo Léopardi, Canti, Gallimard, p.68.)
« Toujours j’aimais cette hauteur déserte,et cette haie qui du plus lointain horizon cache au regard une telle étendue. Mais demeurant et contemplant j’invente des espaces interminables au delà, de surhumains silences et une si profonde tranquillité que pour un peu se troublerait le cœur. Et percevant le vent qui passe dans ces feuilles, ce silence infini, je le vais comparant à cette voix, et me souviens de l’éternel, des saisons qui sont mortes et de celle qui vit encore, de sa rumeur. Ainsi dans tant d’immensité ma pensée sombre, et m’abîmer m’est doux en cette mer. »
18:15 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Léopardi
09/10/2007
Guevara, l'enfer du mythe.
Chacun pourra le constater, les vingts ans de la mort du révolutionnaire Guevara sont l'occasion d'un nouvel éloge panégyrique de ce personnage sombre et torturé aux mains rouges du sang des Cubains (entre autres).
Fidel Castro se referait sans cesse à la révolution Française : le Paris Jacobin avait eu son Saint Just, La Havane des guérilleros avait son Che Guevara, version latino-américaine de Netchaïev (nihiliste et révolutionnaire Russe qui soutenait la thèse selon laquelle le révolutionnaire doit accentuer les souffrances du peuple, afin que celui-ci trouve le courage de se révolter…).
C’est donc l’occasion de revenir sur cet autre personnage mythique de la révolution Cubaine, dont l’effigie orne encore bon nombre de chambres d’étudiants..
J'ai écrit ce post il y a quelques mois, il est toujours d'actualité; c'est donc mon hommage personnel au criminel Guevara.
La jeunesse et les voyages.. qui la forment.
Fils de bonne famille né à Buenos Aires en 1928, Ernesto Guevara sillonne très jeune le sous-continent américain. Ce jeune bourgeois fragilisé par un asthme chronique termine ses études de médecine après un périple à mobylette entre la Pampa et la jungle d’Amérique centrale. La jeunesse de Guevara fut tourmentée, instable et indécise : un père lointain, indulgent mais peu sécurisant, une mère fantasque, cultivée et politisée. Les témoignages directs sur l’enfance du Che sont rares, souvent de peu de valeurs et rédigés à posteriori dans le culte du héros ; Des récits sur sa jeunesse, il suffit de retenir comme élément décisif pour l’adulte, l’asthme et le rapport qu’il entretint avec cette maladie, les longs voyages en Amérique Latine et ce qu’il y cherchait. Dans son « Journal de Bolivie » (Paris, Maspero, 1968), il écrit : « pendant vingt-neuf ans , j’ai eu une compagne : l’asthme » : l’homme inflexible des années soixante s’est partiellement forgé à travers la lutte contre cette maladie.
Le tourment essentiel de sa jeunesse ne fut cependant pas sa maladie mais l’anxiété qui s’exprimait à travers ses longs voyages. L’univers de Guevara fut ordonné dés la jeunesse autour de deux pôles extrêmes : le riche, arrogant, brutal criminel…et le misérable¸humilié, exploité, dépossédé ; Curieusement, alors que sa famille n’était pas pauvre, il avait dés la jeunesse fait de son monde, un monde de pauvreté, de désordre et de brutalité, négligeant volontiers son hygiène et son apparence physique. On retrouve ce penchant à la morbidité dans son journal de Bolivie, ou il consigne scrupuleusement ses mauvaises odeurs, ses troubles intestinaux.. Globalement c’est un sentiment de détresse qui ressort de cette jeunesse chaotique.
Au début des années cinquante, il rencontre la misère au Guatemala à l’époque du régime progressiste de Jacobo Arbenz qui est renversé par les Américains ; Guevara apprend à haïr les Etats-Unis. « J’appartiens, de par ma formation idéologique à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer », écrit-il à un ami, René Ramos Latour, en 1957 (1).
Il se marie une première fois durant l’été 1954 avec Hildéa Gadéa, militante marxiste, censée avoir jouée un rôle déterminant dans sa culture politique. « Quand on est révolutionnaire, l’important c’est de rencontrer une bonne camarade, la beauté n’a pas d’importance », dit-il au journaliste J P LLada. Guevara quitta sa première femme et sa fille en 1956 pour s’embarquer sur le granma, puis il quitta la seconde et ses quatre enfants en disparaissant en 1965 : cela ne prouve pas qu’il ne tenait pas à eux, cela illustre l’absolutisation de la Révolution par le révolutionnaire.
La jeunesse de Guevara apparaît donc austère; elle n’a rien de séduisant ni d’exceptionnel, rien non plus qui annonce une grande destinée ; Ce qui manque, c’est la source de la violence, du fanatisme, de cette exaltation de la haine qu’on trouve chez le personnage public surtout à la fin de sa vie : « Nous devons dire ici ce qui est une vérité connue que nous avons toujours dite au monde : oui nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra » (2)
Cette capacité de violence et cette audace à la justifier ne furent pas sans attrait pour une certaine jeunesse des années soixante.Guérilla et révolution
Une nuit de 1955 au Mexique, il rencontre un jeune avocat cubain exilé, qui prépare son retour à Cuba : Fidel Castro. Cette rencontre est cruciale : désormais Guevara a un but, il est prés à « mourir en pays étranger pour un idéal si élevé » (5).
Guevara décide de suivre ces Cubains qui débarqueront sur l’île en décembre 1956. Nommé dans les maquis commandant d’une colonne, il se fait très vite remarquer par ses aptitudes au combat exceptionnelles, à la guérilla mais aussi par sa dureté (à son égard et à celui des autres) et son ascétisme. Ce partisan de l’ « autoritarisme à tous crins », selon son ancien compagnon de Bolivie Régis Debray (4), qui veut déjà imposer une révolution communiste, se heurte à plusieurs commandants cubains authentiquement démocrates. Le choix en faveur de la lutte armée, le rejet des voies démocratiques, électorales est désormais clair : tout ce qui n’était pas lutte violente n’était pour lui que « trahison » (5). Roger Marsant diplomate à la Havane et proche du Che l’a décrit ainsi : « Cet homme n’aimait que la mort (…) Sa passion ne pouvait s’assouvir que dans le combat dans l’ombre, dans la guerre d’embuscade (...) En se rapprochant du pouvoir, il avait laissé se développer en lui une sorte de psychose de la destruction qui le poussait à écraser ceux qu’il dominait et à abattre ceux qui le dominaient ». Le monde de Guevara fut toujours d’une simplicité radicale: nous/ et les autres ; cette rigidité jointe à une violence latente, en fit un personnage redoutable, d’autant plus redoutable que bientôt il eut un immense pouvoir.A l’automne 1958, il ouvre un second front dans la plaine de Las Vilas, au centre de l’île et remporte un succès éclatant en attaquant à Santa Clara un train de renfort militaire envoyé par Batista : les militaires s’enfuient, refusant le combat. Une fois la victoire acquise, Guevara occupe la charge de « procureur » et décide des recours en grâce. La prison de la Cabana, ou il officie est le théâtre de nombreuses exécutions, notamment d’anciens compagnons d’armes demeurés démocrates. Il est surnommé "carnicerito" (le petit boucher) pour son implication drecte dans la torture et le meurtres de nombreux cubains, le cigare au bec.
Nommé ministre de l’industrie et directeur de la banque centrale à 31 ans, il trouve l’occasion d’appliquer sa doctrine politique collectiviste, imposant à Cuba le modèle « soviétique ». Méprisant l’argent, mais vivant dans les quartiers privés de La Havane, ministre de l’économie mais dépourvu des plus élémentaires notions d’économie, il finit par ruiner la banque centrale. Il est plus à l’aise pour instituer les « dimanches de travail volontaire », fruit de son admiration pour l’URSS et la Chine, dont il saluera la « révolution culturelle » (Simon Leys montra bien que cette dernière ne fut qu’une vaste purge sanglante, prélude à une reprise ne main du pouvoir
Dogmatique, froid et intolérant, Guevara est en complet décalage avec le naturel ouvert et chaleureux des Cubains.
Assez paradoxalement (dut penser Guevara), l’obstacle principal à sa révolution collectiviste, ce furent les ouvriers !
Brusquement placé en situation de pouvoir face aux ouvriers, il leur proposa un modèle qu’il croyait évident mais qui était inquiétant : il fallait que les ouvriers soient prêts à se sacrifier pour la révolution, qu’ils la servent sans demander d’avantages pour eux-mêmes !, tout en les dépouillant des maigres avantages et garanties qu’ils avaient acquis au cours des deux décennies précédentes sous Batista. Guevara, qui croyait en la violence dans la paix comme dans la guerre, conçut alors des solutions coercitives ou rééducatives ; Régis Debray fait remarquer (4) : « C’est lui et non Fidel qui a inventé en 1960, dans la péninsule de Guanaha, le premier camp de travail « correctif » » et cite Guevara: « Je ne peux pas être ami avec quelqu’un s’il ne partage pas mes idées » (4), dit ce disciple de l’école de la Terreur qui baptise son fils Vladimir en hommage à Lénine. Par ailleurs, en invitant les ouvriers à s’organiser, Guevara excluait toute idée de défense ou de revendication de la classe ouvrière : la fonction des syndicats était à l’avenir d’expliquer les nouveaux sacrifices (toujours temporaires) présentés comme les devoirs révolutionnaires de chacun : « Nous devons être prêts à sacrifier tout avantage personnel au bien collectif » (6). Guevara avait retrouvé naturellement, dés son accession au pouvoir, le syndicalisme officiel des régimes socialistes, le syndicat comme courroie de transmission.
Désireux d’exporter la révolution dans sa version Cubaine et aveuglé par un anti-américanisme sommaire, il s’emploie à propager les guérillas à travers le monde, selon le slogan (mai 1967): « Créer deux, trois, de nombreux Vietnam », ou bien « Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies… » (1). En 1963, il est en Algérie puis à Dar es salam, avant de gagner le Congo ou il croise le chemin d’un certain désiré Kabila, un autre marxiste, devenu aujourd’hui maître du Zaïre qui ne répugne pas au massacre de populations civiles.
Fin d’un révolutionnaire
Il semble que Castro ait utilisé Guevara à des fins tactiques. Une fois leur rupture consommée, Guevara gagne la Bolivie. Tentant d’appliquer la théorie du « foco » (foyer) de guérilla, dédaignant la politique du PC Bolivien, ne rencontrant aucun soutien de la part des paysans dont pas un ne rejoindra son maquis itinérant : « De toutes les chose prévues, la plus longue a été l’incorporation de combattants Boliviens » (7 ). Alors que dans la Guerre de guérilla , Guevara avait affirmé le rôle fondamental de la paysannerie et de l’appui de la majorité de la population locale à l’avant garde combattante, comme condition sine qua non, il constatait l’indifférence totale, la peur et parfois l’opposition des paysans. « La peur reste ancrée dans la population », 7 juillet 1967 (7) ou bien « Le manque de contact est toujours total (…), le manque d’engagement de la part des paysans continue à se faire sentir » 6 juin 1967 (7). Plus encore : « « La base paysanne ne se développe toujours pas, bien qu’il semble que nous finissions par obtenir la neutralisation du plus grand nombre au moyen de la terreur organisée ; le soutien viendra ensuite » 19 juin 1967 (7) ! Cette annonce claire du recours à la terreur organisée contre les paysans n’empêcha jamais une partie de ses admirateurs de vanter sa bonté et sa générosité…
Isolé et traqué, Guevara est capturé le 8 octobre 1967 et exécuté le lendemain, par l’armée Bolivienne.
(1) La lune et le caudillo, Jeannine Verdès-Leroux, Gallimard 1989.
(2) Discours 19eme assemblée des Nation Unies, 11 décembre 1964.
(3) Les habits neufs du président Mao ; Simon Leys, 1975. Champ libre.
(4) Loués soient nos seigneurs, Gallimard, 1996.
(5) Guevara, Souvenirs de la guerre révolutionnaire, 1967 ; Maspero.
(6) E C Guevara « La classe ouvrière et l’industrialisation de Cuba » ; Bohemia 17 jan 1964.
(7) E C Guevara. Journal de Bolivie. Paris Maspero, 1968.
08:15 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : guevara, castro, revolution, cuba, assassin
07/10/2007
Des Lois et de la "désobéissance civile".
A midi, ce jour, j’écoutais, comme souvent, France Inter et ses émissions hallucinantes de parti pris et de propagande progressiste. Pourquoi alors ne pas écouter plutôt La flûte enchantée, pourrait-on me rétorquer ? Plusieurs raisons à cela. Parce que j’écoute aussi Die Zauberflöte, parce qu' il est toujours nécessaire de se familiariser avec la novlangue progressiste qui règne en maître sur nos média et parce qu’il m’est physiquement impossible d’écouter tout autre radio commerciale saturée de messages publicitaires toujours plus ahurissants de débilité (au sens propre).
Ce jour, donc, à la fin d’une émission de la mi journée présentée par une pintade enthousiaste formatée au politiquement correct, portant sur certains apports linguistiques (indéniables) de l’Arabe à nos belles langues romanes cet ersatz de journaliste termina l’émission par cette phrase merveilleuse de courage et d’engagement citoyen: « et les mots, contrairement aux hommes, ne peuvent pas être expulsés. »
Il n’y a pas si longtemps, une telle assertion sur une chaîne du service public aurait suffit à mettre un terme ipso facto à la carrière inepte de cette pasionaria de la cause sans papieriste. Aujourd’hui, sous les flots continus de la propagande progressiste appellant à la désobéissance civile, c'est-à-dire à la simple transgression de la loi commune, un tel manquement au devoir de réserve de la part de journalistes du service public non seulement ne choque plus que quelques esprits encore lucides, dont votre serviteur, mais parait sans doute naturel au plus grand nombre.
A travers certains faits de société comme le combat pour la régularisation inconditionnelle des « sans-papiers » alias de simple délinquants, le refus, sinon de la culture, mais aussi de l’expérimentation des OGM par des organismes de recherche publics, le climat d’insurrection armée qui règne de façon chronique dans de nombreux ghettos Africains de notre territoire, on peut mesurer à quel point les notions de justice, d’injustice, et d’obéissance aux lois de la Cité ont subit un dévoiement profond.
Qu’il me soit permis de recourir encore une fois aux Anciens, notamment à Platon, pour illustrer le sens originel de ces concepts, autrefois vivants et chargés de sens, aujourd’hui de simples coquilles vides dans la bouche de politiciens veules et surtout incultes.
Dans son Criton, Platon relate les derniers moments de Socrate, alors condamné à mort par ses pairs pour apostasie et corruption de la jeunesse. Son ami Criton, bien décidé à lui éviter la ciguë par la fuite et l’exil, mène avec son maître une réflexion philosophique sur les notions de justice et d’injustice. Socrate, à l’issue d’un court dialogue, et faisant intervenir un troisième interlocuteur-les Lois-, démontre à son ami qu’il vaut mieux affronter la mort plutôt que de contrevenir aux lois de la cité et ainsi commettre l’injustice.
Pour les Grecs, dont la raison de vivre était que la vie ait un sens et non pas qu’elle soit agréable, l’alternative qui s’offrait à celui qui était en désaccord avec les Lois de la Cité était simple : l’exil ou bien convaincre ses pairs de la nécessité de changer ces dernières. Par contre, et c’est le sens de la réflexion de Socrate à quelques heures de son trépas, celui qui élevé dans le respect des Lois de la Cité, y contrevient doit subir le jugement de ses pairs et l’accepter pour ne pas commettre l’injustice.
Socrate : « Eh bien, considère la chose sous le jour que voici. Suppose que, au moment ou nous allons nous évader d’ici, viennent se dresser devant nous les Lois et l’Etat, et qu’ils nous posent cette question :
Les Lois : « Dis-moi, Socrate, qu’as-tu l’intention de faire ? Ce que tu entreprends de faire, est-ce autre chose que de tramer notre perte à nous, les Lois et l’Etat, autant qu’il est dans ton pouvoir ? Crois-tu vraiment qu’un Etat arrive à subsister et à ne pas chavirer, lorsque les jugements rendus y restent sans force, et que les particuliers se permettent d’en saper l’autorité et d’en tramer la perte ? (…)Socrate : Que répliquons-nous à ce discours, Criton ? Les Lois ont-elles tort ou ont-elles raison ?
Criton : Pour ma part, je crois qu’elles ont raison.
Les Lois : Considère donc, Socrate, si nous n’avons pas raison de dire qu’il est injuste d’entreprendre de nous traiter comme tu projettes de le faire. Nous qui t’avons mis au monde, nourri, instruit, nous qui vous avons, toi et les autres citoyens, fait bénéficier de la bonne organisation que nous étions en mesure d’assurer, nous proclamons pourtant, qu’il est possible à tout Athénien qui le souhaite, après qu’il a été mis en possession de ses droits civiques et qu’il a fait l’expérience de la vie publique et pris connaissance de nous, les Lois, de quitter la Cité, à supposer que nous ne lui plaisons pas, en emportant ce qui est à lui, et aller là ou il le souhaite. (…) Mais si quelqu’un de vous reste ici, expérience faite de la façon dont nous rendons la justice et dont nous administrons la Cité, celui-là, nous déclarons que désormais il est vraiment d’accord avec nous pour faire ce que nous pourrions lui ordonner de faire. Et nous affirmons que, s’il n’obéit pas, il est coupable à trois titres : parce qu’il se révolte contre nous qui l’avons mis au monde, parce que nous l’avons élevé, et enfin parce que, ayant convenu de nous obéir, il ne nous obéit pas sans même chercher à nous faire changer d’avis. » (Criton, 49e-50b)Les mots ne peuvent donc pas "être expulsés" car eux n'ont pas transgressé la loi. La véritable injustice est donc bien la désobéissance à la loi commune. Ceux qui sont en désaccord avec nos lois ont tous loisirs de s’exiler sous des cieux plus favorables (s’ils existent) ou bien d’essayer légalement, dans le respect des usages, de changer la loi.
Que des journalistes du service public ou des hommes en charges de l’autorité publique (maires parrainant des « sans papiers » ou préfets refusant d’exécuter les décisions de justice à l’égard de simples délinquants, enseignants manquants gravement au simple devoir de reserve) ne soient pas sanctionnés, que leur « résistance citoyenne » soit valorisée alors même qu’elle contrevient directement à nos lois, que nombre d’organisations subversives puissent imposer leur discours par la violence et la coercition, tout cela montre assez bien l’état de déliquescence de notre société.
Pour terminer sur une note d’espoir, dans la même émission « citoyenne », il était demandé à une petite fille de 11 ou 12 ans de nommer un aventurier ; in petto je pensais alors immédiatement à Marco Polo, Giotto, Reinhold Messner ou Thémistocle… Non! La petite fille répondit : « aujourd’hui l’aventure est sociale, l'aventurier, c'est Coluche et ses restos du coeur. » La relève est donc assurée.
Bon dimanche !
15:00 | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : france inter, progressiste, désobéissance civile, lois, transgression, injustice, sans papiers
06/10/2007
Debray ou Platon?
C’est comme ça. Il y a des jours ou certaines lectures s’imposent. J’ai, depuis quelques années, pris l’habitude de lire plusieurs ouvrages à la fois ; et il est bien rare que j’en oublie un en chemin. Par exemple tout récemment ais-je pu lire simultanément (le plus souvent relire, pour être juste) L’étrange défaite de Bloch, Notre avant guerre de Brasillach, L’apologie de Socrate par Platon, le Journal de Drieu la Rochelle et L'expérience du passé de Ran Halévi.
Hier soir, je pris avec curiosité le dernier opus de Régis Debray (surnommé ironiquement Danton par Guevara…) au titre prometteur (L’obscénité démocratique). Or, malgré ce, et même si l’on sent bien l’auteur sincèrement révolté par de nombreux aspects de notre époque moderne, la prose de Danton est d’une lourdeur somnifère et l’on souhaiterai presque que Debray suive le conseil que donne Roxanne dans Cyrano: délabyrinther ses sentiments…
« Le fait, sans doute malheureux mais bien réel, qu’un ensemble social ne puisse se produire comme totalité organisée sans s’aliéner dans une instance en surplomb d’elle-même donne à la médiation représentative sa place centrale et névralgique (et à la médiologie, son ticket d’entrée au premier rang des sciences politiques) »…sic!
Alors donc que Debray me tombait littéralement des mains, je repris pour le terminer L’apologie de Socrate lorsque ce dernier se sachant condamné à mort relativise sa peine. En 399 avant JC, à Athènes, Socrate comparait en effet devant le Tribunal de la Cité. Accusé de ne pas reconnaître l’existence des dieux traditionnels, de créer de nouvelles divinités et de corrompre la jeunesse. Ce fait, qui pourrait être banal, est élevé par Platon au rang de mythe fondateur de la philosophie (la pratique de la philosophie seule fait que la vie vaut d’être vécue). Et, plus tard, Socrate oppose à son ami Criton qui lui propose de fuir, le verdict du philosophe : mieux vaut affronter la mort plutôt que de contrevenir aux lois de la cité et ainsi, commettre l’injustice.
Autant la prose de Debray est tourmentée et obscure à mes yeux, autant celle de Platon est simple et limpide.
« En effet,si, en arrivant chez Hadès, on se trouve débarrassé de ces gens qui prétendent être des juges, et qu’on y trouve des juges qui sont réellement des juges, et notamment ceux-la qui, dit-on, rendent là-bas la justice, Minos, Rhadamante et Eaque, Triptolème aussi, et tous ceux qui, parmi les demi-dieux, ont été des justes durant leur existence sur terre, pensez-vous que le voyage n’en vaudrait pas la peine ? Et encore, la compagnie d’Orphée, de Musée, d’Hésiode et d’Homère, que ne donneriez-vous pas pour en jouir ? Pour ma part, je veux bien mourir mille fois si c’est la vérité. Dans quelles merveilleuses conversations je me lancerai, personnellement, lorsque je rencontrerai Palamède, Ajax, le fils de Télamon, et tel ou tel héros du temps passé qui est mort par suite d’un jugement injuste ; comparer mon sort au leur ne me serait pas désagréable, je le crois. Et tout naturellement le plus intéressant, c’est que je pourrais, en conversant avec eux, soumettre les gens de là-bas à l’examen et à l’enquête auxquels je soumets les gens d’ici-bas, pour découvrir qui d’entre eux sait quelque chose et qui ne sait rien en s’imaginant savoir quelque chose. Que ne donnerait-on pas, juges, pour soumettre à cet examen celui qui a conduit devant Troie cette grande armée, Ulysse ou Sisyphe, et tant d’autres hommes et de femmes que l’on pourrait nommer ? Discuter avec ceux de là-bas, vivre en leur société, les soumettre à l’examen, ne serait-ce pas le bonheur ? »
Sans doute.
19:20 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : régis debray, platon, socrate, athénes, criton, homère, hésiode