31/12/2006
bonne année à tous
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27/12/2006
La colonisation, une idée de gauche.
Cela ne vous a pas échappé : le passé colonial de ce pays est devenu un élément à charge constant dans le procès permanent en infamie fait à la France par nos amis progressistes…
Pour autant, nul ne s’étend sur les idéaux qui ont porté l’entreprise coloniale et permis l’érection de l’Empire colonial Français. Et pour cause.
Sous l’influence de deux républicains et hommes de gauche, Léon Gambetta et Jules Ferry, la France de la troisième république s’engagea dans la voie de la création d’un empire colonial. Si Jules Ferry fut le père de la colonisation républicaine Française, il ne fit en réalité que mettre en pratique l’engouement que la gauche Française nourrissait alors pour l’expansion coloniale.
En 1879, avec une rare emphase, Victor Hugo avait ainsi prononcé un discours archétypique de la pensée coloniale de gauche : « (…) Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie, déserte c’est la sauvagerie ! (…) Allez peuples, emparez vous de cette terre ; Prenez-là ! A qui ? A personne !. Prenez cette terre à Dieu ; Dieu donne l’Afrique à l’Europe ! Prenez-là, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille mais pour l’industrie (applaudissements prolongés). Versez votre trop plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ! Croissez, cultivez, colonisez, multipliez, et que sur cette terre de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté (applaudissements enthousiastes..) ». Discours prononcé le 18 mai 1879 au banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage, en présence de Victor Schoelcher ! (1)
Ou encore, le même jour : « Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie à son histoire, l’Amérique à son histoire, (…) l’Afrique n’a pas d’histoire .»
Aujourd’hui une telle arrogance, un tel mépris à l’égard de l’Afrique fermeraient à Victor Hugo les portes du Panthéon et le rangerait dans le camp des infréquentables…
Jules Ferry, ministre de l’Instruction Publique en 1879, puis Président du conseil fut un des principaux artisans de cette politique coloniale.
Sa doctrine coloniale reposait sur trois points:
- économique : l’Empire devait offrir un débouché à l’industrie Française ; la lecture des ouvrages de référence sur cette question économique (2) permet de mesurer l’ampleur de l’erreur d’appréciation,
- philosophique : la France, patrie des Lumières, se devait de faire connaître aux peuples qui l’ignoraient encore ce message universaliste. Dans la réflexion de la gauche Française, la dimension idéologique morale et universaliste tient une part considérable. On trouve chez Jules Ferry la notion de colonisation émancipatrice et cet homme de la gauche coloniale utilise alors des arguments qui choquent aujourd’hui : « Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un doit vis à vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » ! (discours à la chambre du 28 juillet 1885)
- politique : créer à la France de nouvelles conditions de rayonnement d’une grande puissance.
Dans la justification de sa politique coloniale, la gauche républicaine Française eut alors recours à des références qui aujourd’hui tomberaient sous le coup de la loi. Clemenceau, alors opposant à cette politique coloniale, répondit à Ferry en ces termes : « Vous nous dites « nous avons des droits sur les races inférieures » [interruption du député Bonapartiste Paul de Cassagnac : « c’est la théorie des négriers ! » !], c’est bientôt dit ! Race inférieure les Hindous ! Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l’Inde pour la Chine ? Avec cette grande efflorescence d’art dont nous voyons encore les magnifiques vestiges ? Race inférieure les Chinois ? Inférieur Confucius ? » (discours à la chambre du 30 juillet 1885.
Ecoutons aussi Jean Jaurès, grand icône républicaine dans son discours devant la Chambre en 1903 (3) : « La civilisation [que représente la France] en Afrique auprès des indigènes, est certainement supérieure à l’état présent du régime Marocain. »
Ou Léon Blum le 9 juillet 1925 devant les députés : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler au progrès réalisées grâce aux efforts de la science et de l’Industrie »…
Portée par son postulat philosophique, la gauche coloniale Française enjambait allégrement les contradictions. Ainsi la Société des Amis des Noirs, crée en 1788 pour lutter contre l’esclavage, changea-t-elle de nom au début du XIX ème siècle pour devenir la Société des Amis des Noirs et des Colonies. Quant à Victor Schoelcher, le célèbre abolitionniste, aujourd’hui quasiment déifié, il fut secrétaire d’état aux colonies et coprésida en 1889 le congrès colonial international aux cotés du Général Faidherbe, conquérant du Sénégal…
Des républicains, des hommes de gauche, des laïcs militants furent donc des initiateurs de la colonisation, alors que toute la philosophie qui les animait reposait pourtant sur le contrat social. Pourquoi ?
La réponse est claire : parce que la France républicaine avait un devoir, celui d’un aîné devant guider son cadet non encore parvenu à l’éclairage des Lumières.
Jusque dans les années 1890, la position de la droite nationaliste fut claire : la France devait choisir entre la « revanche » envers l’Allemagne, un impératif patriotique, et l’expansion coloniale, chimère détournant les Français de la ligne bleue des Vosges. Dés lors toute aventure coloniale était considérée comme une trahison. Cet anti colonialisme de droite fut bien incarné par Paul Déroulède et Maurice Barrès. Pour le premier, la cause était entendue : jamais les colonies ne pourraient offrir une compensation à la perte des provinces occupées par l’Allemagne et c’est dans ce sens qu’il déclara à Jules Ferry : « J’ai perdu deux sœurs et vous m’offrez vingt domestiques » !(3)
Face à la cohérence philosophique de la gauche coloniale, la droite Française était plus divisée : il s’agissait d’un choix entre les priorités d’action. Charles Maurras à résumé cette attitude : « Les Français ont été autrefois très divisés sur la politique coloniale. Après 1870, dominait le parti du Recueillement et de la Revanche ; Il groupait des hommes aussi différents que le Duc de Broglie et Clemenceau. Ils disaient, ils savaient que les Empires coloniaux, s’ils ne se gagnent pas sur les champs de bataille de l’Europe, ne se perdent à coup sur que là. Il voulaient donc d’abord reprendre Metz et Strasbourg. Après, mais après seulement, on serait parti à la conquête de l’univers. » (4)
Ceci étant, en dehors de certains milieux d’affaires minoritaires, qui avait adhéré à la doctrine de Jules Ferry, en pensant comme lui (et à tort) que les colonies allaient être une bonne affaire la droite était initialement généralement anti coloniale quand la gauche était majoritairement ralliée au mouvement d’expansion coloniale.
Secondairement seulement la droite Française se rallia majoritairement au « credo colonial », sous la pression entre autres de l’humanitaire (rôle décisif dans la lutte contre l'esclavage) et du religieux (évangélisation des Africains).
Jacques Marseille a bien résumé cet unanimisme : « (…) le mot d’ordre commun est de civiliser ; Il s’agit pour les républicains de conquérir des débouchés indispensables à l’économe et en même temps d’apporter les Lumières au monde et faire rayonner la civilisation Française ; Pour les missionnaires, il s’agit de diffuser la religion catholique et de convertir ceux que l’on nomme alors des « primitifs ». L’unanimité habite alors les deux camps de la gauche à la droite. » (5)
Ou l’on voit que la droite en 2006, ne devrait pas avoir de complexes vis à vis de la politique coloniale Française. La gauche aujourhui a totalement oublié (ou feint d'avoir oublié) cette page de sa propre histoire. Mais le terrorisme intellectuel de la propagande progressiste est puissant et l’inculture historique de nos hommes politiques abyssale…
(1) Lugan ; Pour en finir avec la colonisation. Ed du Rocher 2006.
(2) Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français - Histoire d'un divorce. 01/2005 ; Daniel Lefeuvre. Pour en finir avec la repentance coloniale Flammarion ; 09/2006
(3) Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962. Paris 1978.
(4) L’Action Française, 26 juin 1939.
(5) Entretien donné à « Enquête sur l’histoire », numéro spécial L’aventure coloniale, automne 1993, p.16.
22:20 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : colonisation, gauche, droite, race supérieure, race inférieure, afrique, lumieres
20/12/2006
De la révolution Française.
"En dix ans , la Révolution avait trompé tous les calculs et déçu tous les espoirs. On en attendait un gouvernement réglé et stable, de bonnes finances, des lois sages, la paix au dehors et la tranquillité au dedans. On avait eu l'anarchie, la guerre, le communisme, la Terreur, la faillite, la famine et deux ou trois banqueroutes. La dictature Napoléonienne concilia le besoin d'autorité et l'idéologie démocratique. Ce fut un expédient de théoriciens aux abois. Les doctrinaires de 1789 avaient voulu régénérer l'humanité et reconstruire le monde. Pour échapper aux Bourbons, les doctrinaires de 1789 en étaient réduits à se donner à un sabre."
Pierre Gaxotte, in "La Révolution Française", Fayard 1974.
22:50 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : révolution, doctrinaires, napoléon, anarchie, guerre, communismebourbons, 1789
19/12/2006
Che Guevara , l’envers du mythe (2)
Un homme complexe
Sa vie, emplie d’inquiétudes, puis de certitudes (« nous prenons le marxisme avec autant de naturel que toute chose qui n’a plus besoin d’être discutée » (1), enfin de revers sans appel, paraît à posteriori dominée par l’échec, mais il serait sans doute faux de croire qu’il l’avait cherché : l’échec est venu comme une réponse logique à sa méconnaissance du monde et à son hyper volontarisme. L’échec ne pouvait que venir, car à la différence de Castro qui ne cherchait que le pouvoir, Guevara poursuivait lui la transformation radicale du monde et la naissance d’un monde nouveau .
Il y avait bien du Netchaïev en Guevara, mais il avait aussi, ce qui le rend plus complexe, des points communs avec saint Paul : comme lui, Guevara pratiquait ce qu’un exégète appelait « une ascèse athlétique », c’est à dire « essentiellement orientée vers le fruit à porter », et non stérile.(2) Le Guevara pénétré de la misère des populations rencontrées lors de son périple en moto ou celui qui passe quelques semaines comme volontaire dans la léproserie de San Pablo, a quelque ressemblance avec ce missionnaire converti au christianisme. Il était, à un degré moindre que saint Paul certes, un alliage assez rare d’angoisse et de tension positive. Si son discours, pourtant creux et dérisoire sur l’ « homme nouveau » eut une audience, c’est qu’il le prononçait avec une espérance anxieuse : cela devenait autre chose que le discours routinier, froid et inquiétant des apparatchiks bolcheviques sur l’ « homme nouveau ». En définitive ces deux cotés- violence aveugle et quête de perfection- s’entrechoquant au moins dans la première partie de sa vie, le rendaient autrement intéressant qu’un Castro tendu vers le seul but du pouvoir, à vie.
L’échec de l’internationalisation de la guérilla et l’impasse Bolivienne
On sait que Guevara souhaitait créer un deux, trois nouveaux VietNam..En décembre 1964, Guevara fait une tournée internationale de trois mois ou il visite la Chine, l’Egypte, l’Algérie, le Ghana, la Guinée, le Congo, la Tanzanie mais aussi l’Irlande, Prague et Paris ; De retour à Cuba, il s’entretient longuement avec Castro puis disparaît mystérieusement pendant plusieurs mois. En fait il s’embarque incognito pour la Tanzanie, afin d’intégrer l’armée de libération du Congo et de renverser le pouvoir « impérialiste e » en place. Il n’y restera que sept mois, sept mois d’échec à créer une dynamique révolutionnaire. De retour en Europe (Tchécoslovaquie), il commence à songer à la création d’un foyer de guérilla en Bolivie. Pourquoi la Bolivie ? Sans doute parce que ce pays est limitrophe de cinq pays agités de mouvements révolutionnaires (Pérou, Chili, Paraguay, Brésil et son Argentine natale), ce qui en fait une tête de pont idéale pour soulever tout le continent sud-américain. On l’a vu, l’aventure Bolivienne tourne au désastre, non seulement à cause de l’hostilité ou tout au moins de l’absence de soutien des populations locales, mais aussi largement par amateurisme : pas de médicaments (le Che est asthmatique), pas de nourriture (les guérilleros en viennent à manger leur cheval ou boire leur urine !), pas de carte précise et pas de communication radio ! L’isolement, les désertions, les trahisons font le reste malgré le renfort de Danton (Régis Debray, qui de son propre aveu « ne se sent pas mûr pour la mort »…).
Ni au Congo ni en Bolivie Guevara n’est parvenu à créer les conditions d’un foyer insurrectionnel. Reste à savoir si cet homme qui voulait créer « un homme nouveau » voulait gagner ces guerres, ou s’il lui importait d’abord de les mener. La fuite en avant est telle, notamment en Bolivie, que l’on ne peut s’empêcher de penser à une sorte de suicide conscient. Le guérillero écrit dans son dernier message d’avril 1967 : « il faut mener la guerre jusqu’ou l’ennemi la mène : chez lui, dans ses lieux d’amusement, il faut la faire totalement. » Des paroles que ceux qui prennent Guevara pour un martyr christique ont quelque peu opportunément oubliées.
Naissance d’une icône
La mort de Guevara suscita d’abord une incrédulité qui était avant tout un refus sentimental d’admettre que l’idole des révolutionnaires avait pu se faire prendre ; Régis Debray, retrouvant exactement les mots de la religiosité Stalinienne de la fin de la vie du dictateur, déclara : « Le Che n’est pas de ceux qui meurent : exemple et guide, il est à proprement parler immortel, parce qu’il vivra dans le cœur de chaque révolutionnaire. Un Che est mort. D’autres sont sur le point de naître. »(3)
Cette passion pour le révolutionnaire meurtrier qu était Guevara échappe donc au rationnel. En effet, son action décisive dans l’érection de la société communiste Cubaine avec son cortège de meurtres, d’emprisonnement, de déportations, d’exode meurtriers de centaines de milliers de Cubains depuis 1959 n’a bien sur rien d’admirable et suffirait à mettre au ban des démocraties n’importe quel homme, mais pas Guevara !
Son « visage d’archange », notamment sur cette photo célèbre d’ Albert Korda représentant Guevara vêtu d’un treillis militaire, avec béret à étoile, prise en mars 1960, est sans doute un élément de cette passion. Les circonstances de la mort (mystère, assassinat, trahison, panique des autorités, photo « christique » de sa dépouille et mise en scène du cadavre) et son jeune âge (39 ans) sont également importantes dans la naissance du mythe. Que Guevara meure avant la fin de sa vie, si l’on peut dire, encore jeune et assassiné, confortait aussi ce qu’une fraction des révolutionnaires soixante-huitards entendaient par être révolutionnaire : vivre dans l’absence de limites, d’entraves, de régulations de la vie : le révolutionnaire devait être hors norme, étranger à notre condition, fut-ce au prix de la misère d’un peuple et de la mort de nombreux innocents…
« La haine comme facteur de lutte ; la haine intransigeante de l’ennemi, qui pousse au delà des limites de l’être humain et en fait une efficace, violente, sélective et froide machine à tuer » (1).
(1) Che Guevara, Textes politiques. Paris, Maspero 1968.
(2) Claude Tresmontant. Saint Paul et le mystère du christ. Paris, Le seuil, 1956.
(3) R Debray, Le monde, 13 octobre 1967.
20:30 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : che guevara, castro, guerillero, cuba, bolivie, communiste, stalinien
18/12/2006
Che Guevara, l’envers du mythe. (1)
Fidel Castro se referait sans cesse à la révolution Française : le Paris Jacobin avait eu son Saint Just, La Havane des guérilleros avait son Che Guevara, version latino-américaine de Netchaïev (nihiliste et révolutionnaire Russe qui soutenait la thèse selon laquelle le révolutionnaire doit accentuer les souffrances du peuple, afin que celui-ci trouve le courage de se révolter…).
Etant donné l’état de santé précaire du Leader Maximo, il fait peu de doute que nous allons devoir subir à court terme une avalanche de commentaires sinon bienveillants du moins complaisants ou indulgents à l’égard du dictateur Stalinien tropical.
C’est donc l’occasion de revenir sur cet autre personnage mythique de la révolution Cubaine, dont l’effigie orne encore bon nombre de chambres d’étudiants..
La jeunesse et les voyages.. qui la forment.
Fils de bonne famille né à Buenos Aires en 1928, Ernesto Guevara sillonne très jeune le sous-continent américain. Ce jeune bourgeois fragilisé par un asthme chronique termine ses études de médecine après un périple à mobylette entre la Pampa et la jungle d’Amérique centrale. La jeunesse de Guevara fut tourmentée, instable et indécise : un père lointain, indulgent mais peu sécurisant, une mère fantasque, cultivée et politisée. Les témoignages directs sur l’enfance du Che sont rares, souvent de peu de valeurs et rédigés à posteriori dans le culte du héros. Des récits sur sa jeunesse, il suffit de retenir comme élément décisif pour l’adulte, l’asthme et le rapport qu’il entretint avec cette maladie, les longs voyages en Amérique Latine et ce qu’il y cherchait. Dans son « Journal de Bolivie » (Paris, Maspero, 1968), il écrit : « pendant vingt-neuf ans , j’ai eu une compagne : l’asthme » : l’homme inflexible des années soixante s’est partiellement forgé à travers la lutte contre cette maladie. Le tourment essentiel de sa jeunesse ne fut cependant pas sa maladie mais l’anxiété qui s’exprimait à travers ses longs voyages. L’univers de Guevara fut ordonné dés la jeunesse autour de deux pôles extrêmes : le riche, arrogant, brutal criminel…et le misérable¸humilié, exploité, dépossédé ; Curieusement, alors que sa famille n’était pas pauvre, il avait dés la jeunesse fait de son monde, un monde de pauvreté, de désordre et de brutalité, négligeant volontiers son hygiène et son apparence physique. On retrouve ce penchant à la morbidité dans son journal de Bolivie, ou il consigne scrupuleusement ses mauvaises odeurs, ses troubles intestinaux.. Globalement c’est un sentiment de détresse qui ressort de cette jeunesse rude et chaotique.
Au début des années cinquante, il rencontre la misère au Guatemala à l’époque du régime progressiste de Jacobo Arbenz qui est renversé par les Américains ; Guevara apprend à haïr les Etats-Unis. « J’appartiens, de par ma formation idéologique à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer », écrit-il à un ami, René Ramos Latour, en 1957 (1).
Il se marie une première fois durant l’été 1954 avec Hildéa Gadéa, militante marxiste, censée avoir jouée un rôle déterminant dans sa culture politique. « Quand on est révolutionnaire, l’important c’est de rencontrer une bonne camarade, la beauté n’a pas d’importance », dit-il au journaliste J P LLada. Guevara quitta sa première femme et sa fille en 1956 pour s’embarquer sur le Granma, puis il quitta la seconde et ses quatre enfants en disparaissant en 1965 : cela ne prouve pas forcément qu’il ne tenait pas à eux, cela illustre l’absolutisation de la Révolution par le révolutionnaire.
La jeunesse de Guevara apparaît donc austère; elle n’a rien de séduisant ni d’exceptionnel, rien non plus qui annonce une grande destinée ; Ce qui manque, c’est la source de la violence, du fanatisme, de cette exaltation de la haine qu’on trouve chez le personnage public surtout à la fin de sa vie : « Nous devons dire ici ce qui est une vérité connue que nous avons toujours dite au monde : oui nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra » (2)
Cette capacité de violence et cette audace à la justifier ne furent pas sans attrait pour une certaine jeunesse des années soixante.Guérilla et révolution
Une nuit de 1955 au Mexique, il rencontre un jeune avocat cubain exilé, qui prépare son retour à Cuba : Fidel Castro. Cette rencontre est cruciale : désormais Guevara a un but, il est prét à « mourir en pays étranger pour un idéal si élevé » (5).Guevara décide de suivre ces Cubains qui débarqueront sur l’île en décembre 1956. Nommé dans les maquis commandant d’une colonne, il se fait très vite remarquer par ses aptitudes exceptionnelles au combat et à la guérilla mais aussi par sa dureté (à son égard et à celui des autres) et son ascétisme. Ce partisan de l’ « autoritarisme à tous crins », selon son ancien compagnon de Bolivie Régis Debray (4), qui veut déjà imposer une révolution communiste, se heurte à plusieurs commandants cubains authentiquement démocrates. Le choix en faveur de la lutte armée, le rejet des voies démocratiques, électorales est désormais clair : tout ce qui n’était pas lutte violente n’était pour lui que « trahison » (5). Roger Marsant diplomate à la Havane et proche du Che l’a décrit ainsi : « Cet homme n’aimait que la mort (…) Sa passion ne pouvait s’assouvir que dans le combat dans l’ombre, dans la guerre d’embuscade (...) En se rapprochant du pouvoir, il avait laissé se développer en lui une sorte de psychose de la destruction qui le poussait à écraser ceux qu’il dominait et à abattre ceux qui le dominaient ». Le monde de Guevara fut toujours d’une simplicité radicale: nous vs les autres ; cette rigidité jointe à une violence latente, en fit un personnage redoutable, d’autant plus redoutable que bientôt il eut un immense pouvoir.
Il fit partie des 82 hommes qui partirent avec Castro en novembre 1956 pour Cuba, sur un petit yacht appelé "Granma". Ils furent attaqués et défaits juste aprés leur débarquement par les troupes de Batista, informées de leur expédition. Les survivants (une vingtaine seulement) fuirent et trouvèrent refuge dans les montagnes de la Sierra Maestra, d'ou ils lancèrent une guerilla contre le régime en place. Ces années-là sont exceptionnellement heureuses et exaltées: "je n'oublierais jamais le moment ou me fut remis le fusil-mitrailleur, ces instruments de mort étales comme dans une exposition, mettaient de l'avidité aux yeux de tous les combattants" (5) dit Guevara fasciné par la lutte et les armes. Il avait un but clair, les paysans pauvres qu'il rencontrait dans la sierra confirmaient sa conception d'une lutte pour les dépossédés, enfin tout le mode de vie lui convenait: ce mélange de discipline rigide et de licence, l'abandon des conventions socialmes qu'il détestait, la fratenité des hommes, la solitude quand il le voulait et les pulsions agressives légitimées.
A l’automne 1958, il ouvre un second front dans la plaine de Las Vilas, au centre de l’île et remporte un succès éclatant en attaquant à Santa Clara un train de renfort militaire envoyé par Batista : les militaires s’enfuient, refusant le combat. Une fois la victoire acquise, Guevara occupe la charge de « procureur » et décide des recours en grâce. La prison de la Cabana, ou il officie est le théâtre de nombreuses exécutions, notamment d’anciens compagnons d’armes demeurés démocrates. Les tribunaux révolutionnaires siègent sans discontinuer dans toutes les casernes, depuis la Moncad à Santiago de Cuba (sous les ordres de Raul Castro), jusqu' à la Cabana, à la Havane. Il est rare que quelqu'un soit acquitté: c'est soit la peine de mort, soit dix, vingt, trente ans de prison. Les juges improvisée, ne font que suivrent les demandes des procureurs -eux mêmes improvisés-, elles mêmes dictées par Castro, qui ne s'embarasse pas d'arguties légales. La révolution n'est-elle pas source de droit? Au cours des premiers mois de 1959, pendant lesquels il officie à la Cabana, prés de deux cent exécutions documentées sont à mettre à son compte, ce qui lui vaudra à l'époque le gentil surnom de "carnicerito" (le petit boucher) de la Cabana.
Nommé ministre de l’industrie et directeur de la banque centrale à 31 ans, il trouve l’occasion d’appliquer sa doctrine politique collectiviste, imposant à Cuba le modèle « soviétique ». Méprisant l’argent, mais vivant dans les quartiers privés de La Havane, ministre de l’économie mais dépourvu des plus élémentaires notions d’économie, il finit par ruiner la banque centrale. Il est plus à l’aise pour instituer les « dimanches de travail volontaire », fruit de son admiration pour l’URSS et la Chine, dont il saluera la « révolution culturelle » (Simon Leys montra bien que cette dernière ne fut qu’une vaste purge sanglante, prélude à une reprise ne main du pouvoir). En 1952, Cuba occupait le troisième rang sur les 20 pays latino-américains pour le produit national brut par habitant; trente ans plus tard, aprés plus de vingt ans de castrisme, Cuba n'occupait plus que le 15eme rang, juste devant le Nicaragua et Haiti...(1)
Dogmatique, froid et intolérant, Guevara est en complet décalage avec le naturel ouvert et chaleureux des Cubains.Assez paradoxalement (dut penser Guevara), l’obstacle principal à sa révolution collectiviste, ce furent les ouvriers ! Brusquement placé en situation de pouvoir face aux ouvriers, il leur proposa un modèle qu’il croyait évident mais qui était inquiétant : il fallait que les ouvriers soient prêts à se sacrifier pour la révolution, qu’ils la servent sans demander d’avantages pour eux-mêmes !, tout en les dépouillant des maigres avantages et garanties qu’ils avaient acquis au cours des deux décennies précédentes sous Batista. Guevara, qui croyait en la violence dans la paix comme dans la guerre, conçut alors des solutions coercitives ou rééducatives ; Régis Debray fait remarquer (4) : « C’est lui et non Fidel qui a inventé en 1960, dans la péninsule de Guanaha, le premier camp de travail « correctif » » et cite Guevara: « Je ne peux pas être ami avec quelqu’un s’il ne partage pas mes idées » (4), dit ce disciple de l’école de la Terreur qui baptise son fils Vladimir en hommage à Lénine. Par ailleurs, en invitant les ouvriers à s’organiser, Guevara excluait toute idée de défense ou de revendication de la classe ouvrière : la fonction des syndicats était à l’avenir d’expliquer les nouveaux sacrifices (toujours temporaires) présentés comme les devoirs révolutionnaires de chacun : « Nous devons être prêts à sacrifier tout avantage personnel au bien collectif » (6). Guevara avait retrouvé naturellement, dés son accession au pouvoir, le syndicalisme officiel des régimes socialistes, le syndicat comme courroie de transmission.
Il est possible de dresser un bilan de la répression des années soixante: de sept à dix mille personnes ont été fusillées, et on estimait le nombre de prisonniers politiques à plus de trent mille (7). De nombreux camps de concentration, de travail, de rééducation furent construits, ou étaient jetés pèle-mèle, des religieux, des homosexuels, des sympathisants de l'ancien régime (les rares non fusillés) et tout "individu considéré comme potentiellement dangereux pour la société", ce qui est assez peu restrictif on en conviendra...Globalement, depuis 1959, plus de cent mille Cubains ont connus les camps ou la prison. De 15000 à 17000 personnes ont été fusillées, sans compter les centaines de milliers de "balseros" qui ont fui Cuba sur des embarcations de fortune et dont on sait que prés de la moitié n'a pas survécu. (7) (au passage on pourra faire la "comparaison" avec les 2 à 3000 victimes de la dictature de Pinochet justement condamnée et la complaisance malsaine de la Gauche à l'égard des révolutionnaires Cubains, notamment en France).
Désireux d’exporter la révolution dans sa version Cubaine et aveuglé par un anti-américanisme sommaire, il s’emploie à propager les guérillas à travers le monde, selon le slogan (mai 1967): « Créer deux, trois, de nombreux Vietnam », ou bien « Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies… » (1). En 1963, il est en Algérie puis à Dar es salam, avant de gagner le Congo ou il croise le chemin d’un certain désiré Kabila, un autre marxiste, devenu aujourd’hui maître du Zaïre qui ne répugne pas au massacre de populations civiles.Fin d’un révolutionnaire
Il semble que Castro ait utilisé Guevara à des fins tactiques. Une fois leur rupture consommée, Guevara gagne la Bolivie. Tentant d’appliquer la théorie du « foco » (foyer) de guérilla, dédaignant la politique du PC Bolivien, ne rencontrant aucun soutien de la part des paysans dont pas un ne rejoindra son maquis itinérant : « De toutes les chose prévues, la plus longue a été l’incorporation de combattants Boliviens » (7 ). Alors que dans la Guerre de guérilla , Guevara avait affirmé le rôle fondamental de la paysannerie et de l’appui de la majorité de la population locale à l’avant garde combattante, comme condition sine qua non, il constatait l’indifférence totale, la peur et parfois l’opposition des paysans. « La peur reste ancrée dans la population », 7 juillet 1967 (7) ou bien « Le manque de contact est toujours total (…), le manque d’engagement de la part des paysans continue à se faire sentir » 6 juin 1967 (7). Plus encore : « « La base paysanne ne se développe toujours pas, bien qu’il semble que nous finissions par obtenir la neutralisation du plus grand nombre au moyen de la terreur organisée ; le soutien viendra ensuite » 19 juin 1967 (7) !!! Cette annonce claire du recours à la terreur organisée contre les paysans n’empêcha jamais une partie de ses admirateurs de vanter sa « bonté »…Isolé et traqué, Guevara est capturé le 8 octobre 1967 et exécuté le lendemain, par l’armée Bolivienne.
(1) La lune et le caudillo, Jeannine Verdès-Leroux, Gallimard 1989.
(2) Discours 19eme assemblée des Nation Unies, 11 décembre 1964.
(3) Les habits neufs du président Mao ; Simon Leys, 1975. Champ libre.
(4) Loués soient nos seigneurs, Gallimard, 1996.
(5) Guevara, Souvenirs de la guerre révolutionnaire, 1967 ; Maspero.
(6) E C Guevara « La classe ouvrière et l’industrialisation de Cuba » ; Bohemia 17 jan 1964.
(7) E C Guevara. Journal de Bolivie. Paris Maspero, 1968.
(8) Le livre noir du communisme, Robert Laffon 1998.
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16/12/2006
"L’armée de glace", 11 octobre 732 : bataille de Poitiers.
La bataille.
Au début du VIII eme siècle, la situation dans le sud de la Gaule est la suivante : les musulmans ont envahi la partie du royaume Wisigoth rescapé des conquêtes des fils de Clovis. La Septimanie (ou province Narbonnaise) est dirigée par le gouverneur Munuza, qui a fait alliance avec Eudes, duc d’Aquitaine, contre le représentant du gouverneur omeyyade de l’Espagne (alors musulmane), Abd ar Rahman. Celui ci dirige alors une expédition punitive contre son vassal félon, le tue et décide de poursuivre ses razzias vers le Nord et l’Aquitaine, histoire de ne pas rentrer en Espagne les mains vides. Abd ar Rahman défait l’armée d’Eudes à Bordeaux, puis se dirige vers Poitiers, après avoir pillé l’abbaye de Saint Hilaire.
Charles Martel, à qui Eudes a fait appel après sa défaite, a réuni une armée de fantassins Francs et marche vers Tours. Les deux armées se rencontrent à Vouneuil sur Vienne entre Tours et Poitiers et après une semaine d’observation, la bataille s’engage.
A Poitiers, la cohue islamique des Berbères et des Arabes à cheval, dénommés Sarrasins en raison du pays d’origine des tribus Syriennes du Moyen Orient, se heurta à la ligne des fantassins Francs. Charles Martel (petit fils de Clovis) et son armée composite (lanciers, infanterie légère et nobles aristocrates venus se battre à cheval) se mirent tous en ligne, pied à terre, afin de tenir des heures durant jusqu’à la tombée de la nuit. Les Arabes tirèrent des flèches depuis leurs montures et étrillèrent les Francs de coups d’épées et de lances, mais ils ne parvinrent à tuer ni déloger les Européens.
Les rares récits de la bataille de Poitiers (1) sont tous d’accord sur un point crucial : les musulmans se ruèrent à maintes reprises sur les Francs, statiques et disposés en un carré protecteur de fantassins. Ces défenseurs qui bloquaient la route de Tours repoussèrent méthodiquement les assauts jusqu’à ce que les assaillants finissent par se replier sur leur camp. La chronique du continuateur d’Isidore rapporte que les Francs (ou plutôt les « hommes d’Europe ») formaient une « mer immobile ». Ils se « tenaient l’un prés de l’autre », raides comme un « mur » ; « Telle une masse de glace, ils étaient solidement attachés les uns aux autres ». Puis, « avec de grands coups d’épées », ils défirent les Arabes . Nous savons en outre (1), que Charles Martel « dresse bravement une armée » devant les Arabes, puis, « en chef de guerre, se précipite sur eux ». Il les met en déroute, investit leur camp, tue leur général Abd ar Rahman, et les disperse.
A quoi tout cela pouvait il ressembler dans la confusion de la bataille de Poitiers? Les Francs étaient grands et physiquement redoutables, bien protégés de cottes de mailles ou de pourpoints de cuir avec des écailles de métal. Leurs boucliers ronds en bois dur massif, comme ceux de l’ancien hoplite grec, avaient près d’un mètre de diamètre. Chaque fantassin Franc entrait dans la bataille encombré d’une bonne trentaine de kilos d’armes et d’armure, le rendant aussi démuni dans une escarmouche à découvert qu’invulnérable en formation dense.
Quand les sources parlent d’un « mur », d’une « masse de glace », et de « lignes immobiles », il nous faut imaginer un vrai rempart humain, presque invulnérable, avec des boucliers serrés les uns contre les autres, protégeant des corps revêtus d’une armure, des armes tendues pour atteindre le bas ventre de tout cavalier Sarrasin assez fou pour frapper les Francs au galop. Incapables de pénétrer les lignes Franques, la plupart des Arabes tournaient en rond dans la confusion, lançant des flèches ou frappant avec leurs épées.
Les chroniqueurs laissent l’impression qu’ Abd ar Rahmann n’avait jamais prévu que sa meute de pillards se heurterait à une grande masse de fantassins lourdement armés dans une vallée confinée . Dans ces conditions, les mêmes ingrédients qui permirent à son armée de semer la terreur dans les rues de Poitiers (des cavaliers isolés au galop s’en prenant à des groupes de deux ou trois sans protection) les promettaient au massacre face à une ligne de lanciers en armure qui les attendaient de pied ferme.
Les hommes de Charles Martel furent la première génération de fantassins de ce type, en Europe occidentale, à affronter des armées islamiques. Poitiers allait ainsi inaugurer une lutte quasi millénaire entre la discipline, la force et l’armement lourd des Européens de l’Ouest, d’un coté, la mobilité, les effectifs et le talent individuel de leurs ennemis islamiques, de l’autre. Poitiers fut, comme toutes les batailles de cavalerie, un abominable gâchis, laissant un terrain jonché de milliers de chevaux blessés ou mourants, de butin abandonné et d’Arabes morts ou blessés.
Après le combat du jour, les armées, qui s’étaient déjà observées une semaine durant avant la bataille, regagnèrent leur camp. A l’aube, les Francs qui se préparaient à une nouvelle bataille, découvrirent que l’armée Arabe avait disparu.
Poitiers ne fut que le début de l’expulsion progressive des musulmans du sud de la France. Au cours de la décennie suivante, les seigneurs Francs allaient repousser d’autres raids depuis l’Espagne islamique ; Poitiers marqua cependant la limite de l’avancée islamique en Europe : les armées musulmanes ne devaient plus jamais pousser aussi loin au Nord. Avec le refoulement presque simultané des Arabes des portes de Constantinople (717) la vague islamique du siècle précédent se trouva enfin arrêtée à la périphérie de l’Europe.
Réflexions.
-Charles l’emporta à Poitiers pour différentes raisons. Ses troupes combattaient pour leurs foyers, non pas pour piller loin de leur base d’opération ; Les armées étaient à peu prés appareillées en nombre, mais les Carolingiens, qui veillaient à en interdire l’exportation, disposaient d’armures, d’armes, de cottes de mailles et d’épées techniquement supérieures. Par ailleurs, Charles avait une position naturellement forte à Poitiers, ou il était impossible à l’ennemi d’encercler ou de déborder sa phalange de fantassins. C’est à sa surprenante résistance aux charges de cavalerie Sarrasine et à l’écrasement des musulmans que Charles dut son surnom de « martel ».
-Si pendant une bonne partie du VI eme siècle, les musulmans avaient triomphé de nombres d’ennemis faibles (Perses Sassanides, Byzantins, Wizigoths en Afrique du Nord et en Espagne), ils se heurtèrent avec les Francs à un mur d’indigènes (hommes habitants l'endroit ou ils sont nés) Européens, soldats sédentarisés dont la façon de combattre originale empruntait largement aux traditions guerrières antiques.
-Charles Martel voua sa vie à l’unification du royaumes des Francs et ses victoires jetèrent les bases de la dynastie Carolingienne, qui sous l’égide de son petit fils Charlemagne, vit la réunification de l’Europe centrale. Et outre la création d’un état occidental assez fort pour résister à l’avancée de l’Islam en Europe méridionale, l’héritage le plus important de Charles Martel est d’avoir perpétué la tradition antique de mobilisation d’hommes libres en une grande force d’infanterie, formée de citoyens, plutôt que d’esclaves ou de serfs enrôlés d’office. Cela était aux antipodes des pratiques de ses adversaires à Poitiers (théocraties soumises aux lois coraniques dont les armées, essentiellement à cheval, étaient organisées autour d’un corps de soldats serviles) .
-Qu’aurait eu comme conséquence une défaite à Poitiers ? Nombre d’historiens (L von Ranke) en font une bataille décisive, marquant l’apogée de la progression musulmane en Europe, et la sauvant ainsi d’une occupation (colonisation) prolongée à l’Hispanique. D’autres plus sceptique (C. Oman, JFC Fuller), pensent que cette bataille marqua l’émergence d’un nouveau consensus qui devait plus tard sauver l’Europe : les vaillants fantassins Francs d’une nouvelle culture Carolingienne, flanqués de leur seigneurs à cheval, pouvaient enfin former un rempart contre les pillards musulmans et les Vikings.
D’autres, plus récemment, suggérèrent que Poitiers ne fut qu’un simple raid musulman et donc un mythe construit par l’Occident, ou encore qu’une victoire musulmane eut été sans doute préférable à la domination continue des Francs. Ce qui est clair, en tout état de cause, c’est que Poitiers confirma la capacité des Occidentaux de se défendre. Charles Martel entreprit ensuite de débarrasser le midi de la France de ses assaillants islamiques pour plusieurs décennies, unifiant ainsi des royaumes hostiles, pour jeter les bases de l’Empire Carolingien. Par la suite, en effet , le règne de Charlemagne (768-814) vit l’expulsion définitive des musulmans de France et d’Italie ainsi que la création d’un état central Européen qui étendit son influence à travers la France, la Germanie, la Scandinavie, mais aussi dans le Nord de l’Espagne.
-La France contre l'Islam: le pays le plus riche et le plus peuplé d'occident jouera un rôle essentiel dans la guerre contre l'Islam. Les chevaliers Français assureront le grand départ de la reconquête Espagnole (1085, prise de Tolède), la récupération de l'Italie du sud et de la Sicile (1040-1091), et enfin l'élan des croisades. C'est à Clermont, en 1095, que le pape Urbain II invite les occidentaux à prendre les armes; c'est à Vezelay qu'en 1147, saint Bernard préche la deuxième croisade. La France finance les expéditions, fournit la majorité des contingents qui conquièrent Jérusalem (1099), fondent les Etats latins (1099-1291), constituent les prinicipaux ordres militaires, Hospitaliers et Templiers, chargés de leur défense. Saint Louis lui-même conduit les deux dernières croisades: la septième (1248-1254), au cours de laquelle il est vaincu et fait prisonnier, et la huitième (1270), ou il perd la vie.
(1) JM Wallace-Hadrill : « Fregedaire, chronique des temps mérovingiens », 2001.
Et toujours l’excellent et indispensable « Carnage et Culture » de Victor Davis Hanson. A lire et relire.
17:40 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : Poitiers, sarrasins, musulmans, francs, infanterie, combat, croisade
12/12/2006
Salvador Allende, histoire d’un mythe.
L’ histoire officielle est la suivante: Allende a été renversé et assassiné par un complot militaro-fasciste soutenu par les Etats-Unis, et quiconque veut établir le bilan des responsabilités du gouvernement de l’Unité Populaire se voit aussitôt accusé de complicité avec Pinochet.
JF Revel, dont l’engagement anti-totalitaire n’est plus à démontrer, avait coutume de dire que lorsque le général Pinochet avait tué la démocratie, elle était déjà morte…
Qui était Salvador Allende ?
Ce médecin père de famille d’origine bourgeoise né en 1908 à Valparaiso, franc-maçon, lecteur de Marx et Lénine mais légaliste est le fondateur du parti socialiste Chilien en 1933. Il se distingue tôt par son activisme législatif social (création d’une sécurité sociale des ouvriers en 1937). Elu et réélu sénateur pendant un quart de siècle et accumulant les échecs électoraux, Allende se retrouve durant l’été 1970 à la tête d’une coalition de gauche (Unité Populaire) hétérogène allant du centre à l'extrême gauche révolutionnaire (trotskystes et maoistes du MIR) en passant par les communistes, face à une droite elle même divisée. Le 4 septembre 1970, il est nommé légalement à la présidence de la république par la chambre des députés avec seulement 36.30% des suffrages et avec l’appui conditionnel de la démocratie chrétienne. Situation d’emblée difficile car Allende ne dispose ni d’une majorité au parlement, ni du pouvoir judiciaire, ni du pouvoir militaire.
Quel était le programme de l’Unité Populaire ?
Il fut définit par la convention de Chillan en 1967 :
- « L’état bourgeois au Chili ne peut servir de base au socialisme, il est nécessaire de le détruire. Pour construire le socialisme, les travailleurs Chiliens doivent dominer la classe moyenne pour s’emparer du pouvoir total et exproprier graduellement tout le capital privé : c’est ce qui s’appelle la dictature du prolétariat. »
- « La violence révolutionnaire est inévitable et légitime ; Elle est le résultat nécessaire du caractère violent et répressif de l’état classe. Elle constitue l’unique chemin qui mène à la prise du pouvoir politique, économique et à sa défense. »
- « Il est possible pour le gouvernement de détruire les bases du système capitaliste de production. En créant et en élargissant l’aire de propriété sociale aux dépens des entreprises capitalistes et de la bourgeoisie monopolistique, nous pourrons leur faire quitter le pouvoir économique. »
Nulle ambiguïté, donc : collectivisation forcée et instauration d’une dictature du prolétariat.
Le socialisme Chilien.
Elu, Allende entreprend de mettre en application son programme socialiste dans le cadre de cette union de la gauche (nationalisation à grande échelle, réforme du système de santé, réforme agraire, blocage des prix, impôts sur les bénéfices, moratoire sur le remboursement de la dette extérieure, etc.). Ces réformes tantôt trop modéres, tantôt trop radicales, ne feront jamais l'unanimité dans son camp, et cette radicalisation du régime vers le collectivisme va effrayer le principal partenaire démocrate chrétien, majoritaire au congrès. Cette polarisation du pays est essentielle à la compréhension du climat insurrectionnel de guerre civile qui va s’instaurer progressivement. Nombre d’observateurs civils dénoncent une cubanisation du régime, comparaison d’autant plus juste qu’Allende ne cache pas ses liens amicaux avec le dictateur Cubain, dont les services secrets (DGI) sont omniprésents sur le sol chilien dés 1970 et assurent notamment sa sécurité rapprochée.
La fin de l’expérience socialiste.La dégradation rapide de la situation économique (500% d’inflation en 1973, chute de la production de 10% par année après les nationalisations, développement du marché noir, rationnement, etc.) alliée à la radicalisation du débat politique expliquent la victoire de l’opposition en mars 1973, mais qui avec 55% des voix ne peut accéder au pouvoir. Dans ce climat insurrectionnel entretenu par l'extrême gauche révolutionnaire, une première tentative de putsch militaire a lieu le 29 juin 1973, sans succès. Le 23 août, Allende nomme le général Augusto Pinochet commandant en chef des forces armées et décide la tenue d’un referendum, espérant un plébiscite. Quelques jours plus tard, le 11 septembre, c’est le putsch réussi des militaires avec Pinochet à leur tête, la mort (suicide ? meurtre ?) d’Allende dans son palais de la Moneda à Santiago, et l’instauration de la dictature militaire d’A Pinochet. Avec la chute d' Allende, c'est la fin d'une pratique démocratique originale vieille de plusieurs décennies qui avait valu à ce pays le surnom de "Prusse de l'Amérique du sud".
Le rôle des Etats-Unis.
En 1973, les USA ont impulsé depuis plusieurs décennies une politique d’endiguement face aux visées subversives, révolutionnaires ou terroristes des mouvements marxistes en Amérique latine. La guerre froide sur ce continent sud américain, zone d’influence traditionnelle des USA, prend la forme d’infiltrations, de subversions, d’attentats, de terrorisme de masse, de guérillas, de coups d’états et de dictatures militaires.L’accession au pouvoir d’Allende rassemble les caractéristiques d’une marche vers une régime totalitaire communiste à la Cubaine. Dés 1970, les USA vont tout faire pour limiter les réformes de la coalition d’Allende, notamment les nationalisations et la réforme agraire, et faire capoter l’expérience collectiviste Chilienne.Il est acquis que les USA ont essayé de renverser Allende en 1970 (projet FUBELT), mais leur participation directe dans le coup d’état de 1973 n’est pas avérée à ce jour.L’impression d’ensemble est que les USA (la CIA et Kissinger notamment) n’ont pas eu de participation directe dans l’accession au pouvoir d’A Pinochet mais qu’ils ont créés les meilleures conditions possibles, notamment par le biais de pressions économiques et politiques constantes.
Voilà pour les faits.
Quelques remarques :
- en 1973, la faillite économique du régime socialiste d’Allende est avérée (malgré les nombreux ré échelonnements de dette et les nouveaux crédits consentis) et résulte avant tout de causes internes (propre à toute expérience collectiviste) et non pas seulement externes (pressions économiques et politiques américaines bien réelles) ;
- la faillite politique et démocratique est également indiscutable : décomposition de l’état, polarisation extrême du corpus politique paralysant toute coalition stable, climat insurrectionnel permanent (grève des camionneurs, des patrons, des mineurs de cuivre, manifestations populaires casseroles à la main, etc.) ; La radicalisation et la faible légitimité du régime expliquent la résistance d’une grande partie de la société civile déçue de la « chilena via al socialismo », mais aussi celle de l'armée traditionellement conservatrice, et le climat de guerre civile de l’année 1973.
- A la veille du coup d’état, Salvador Allende ne pouvait déjà plus maintenir au pouvoir de façon démocratique l’Unité Populaire telle qu’il l’avait constituée. Il envisagea, en légaliste et c’est à son crédit, un gouvernement d’union nationale avec les démocrates chrétiens, solution qui fut repoussée par les socialistes et les communistes. Restaient possibles la guerre civile, l’instauration d’un système totalitaire de type castriste ou un putsch militaire, qui advint malheureusement.
- La responsabilité collective de la coalition de gauche au pouvoir de 1970 à 1973 et la responsabilité personnelle d’ Allende dans la situation du pays à la veille du coup d’état sont écrasantes et ne doivent pas être masquées par le dégoût légitime du régime dictatorial issue de la faillite de l’expérience socialiste Chilienne.
- Il est par ailleurs difficile de ne pas faire d’analogie avec la période pré insurrectionnelle que connut l’Espagne dans les années 30, avant le déclenchement de la guerre civile en 1934 (révolution des Asturies) : même radicalisation /bolchevisation de la gauche dite modérée, même polarisation extrême de la société civile et du corpus politique, même réaction autoritaire désespérée du pays conservateur devant la menace totalitaire communiste, et même instauration d’un régime dictatorial original (distinct d'un régime fasciste stricto sensu).
- Bien que marqué par la doxa marxiste et constamment sollicité par la gauche radicale (MIR, et communistes), Salvador Allende crut jusqu’au bout, sans doute, possible une solution démocratique, légale. Quel que furent ses erreurs et son aveuglement, il ne faut pas l'oublier.
22:05 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : salvador allende, chili, coup d'état, pinochet, communiste, socialiste
10/12/2006
Boudarel, l’honneur de Jospin et le déshonneur de l’université Française.
Tout récemment, un ami qui eut le triste privilège de réchapper des camps de la mort du Viet minh, pendant la guerre d’Indochine, après y avoir survécu 3 ans dans des conditions atroces, me remémora la réaction courageuse et isolée de Jospin lors de l’affaire Boudarel.
Durant la guerre d’Indochine, ce militant communiste et enseignant à Saigon, passé du coté du vietminh en 1950, devint notamment le commissaire politique du camp 113 en 1953. Durant son année de « fonction », sur 320 prisonniers Français, ses compatriotes, 278 vont mourir de mauvais traitements et de torture physique et psychologique. Inculpé de trahison Georges Boudarel est condamné à mort par contumace en juin 1953.
Après les accords de Genève, Georges Boudarel de retour en France en 1966 après avoir bénéficié de la loi d'amnistie du 18 juin 1966, sera coopté au CNRS par ses amis communistes pour y préparer une thèse de troisième cycle d’histoire à l’université Paris VII Jussieu. Il devient maître de conférences à Jussieu et ses mêmes amis feront ensuite valider ses années « d’expérience » en Indochine pour favoriser sa carrière…
Le 13 février 1991, lors d'un colloque au Sénat sur le Vietnam auquel Boudarel participe, il est apostrophé par Jean-Jacques Beucler (président du Comité d'entente des anciens d'Indochine, ancien secrétaire d'État à la défense puis aux anciens combattants de 1977 à 1978, ancien officier et prisonnier du camp N° 1 au Tonkin) qui, au nom d'anciens prisonniers, exprime « son plus profond mépris » à l'historien. « Vous avez du sang sur les mains. Votre présence à cette tribune est indécente ».
Contre toute attente, articles et pétitions en faveur de Boudarel ne manquèrent pas dans le camp « progressiste » (Jean Lacouture, Pierre Vidal-Naquet, etc) et la justice rejeta l ‘accusation de crime contre l’humanité portée par une association d’anciens combattants, au motif que les faits étaient couverts par la loi d’amnistie de 1966.
Seul ou presque à gauche, Lionel Jospin, alors ministre de l’EN, sauva l’honneur de son camp en déclarant que « si le choix de l’anticolonialiste était juste », il ne lui paraissait « pas indispensable pour autant de passer du coté de l’adversaire de notre pays, quoi qu’on en pense ». Jospin ajouta que « rien ne peut justifier qu’un intellectuel, qu’un professeur devienne un kapo dans un camp de prisonnier, dans un camp de concentration dans lequel ses propres compatriotes mouraient sous la torture et les mauvais traitements. Cet homme la ne mérite pas à mon sens de comité de soutien ».
Il est sans doute intéressant de constater qu’à la même époque un jeune chercheur nommé Reynald Secher, auteur d’une thèse iconoclaste sur les guerres Vendéennes (Le génocide franco-français), vit sa carrière détruite par le même milieu universitaire endogamique, dont les efficaces méthodes Staliniennes perdurent depuis l'aprés guerre .
20:45 | Lien permanent | Commentaires (34) | Tags : boudarel, indochine, jospin, université, staliniennes