(...) « Plus je vois l’administration de Donald Trump à l’œuvre, plus j’aime son style. En voici un exemple parfait, où le probable futur ambassadeur de Trump à l’Union européenne, Ted Malloch, parle sans détour à Andrew Neil qui l’interviewe dans l’émission Daily Politics de laBBC. Neil vient de demander à Malloch ce qui peut bien l’intéresser dans le poste d’ambassadeur à l’UE.
Andrew Neil : « Il me semblait que vous étiez loin d’être un grand fan de Bruxelles et des bureaucrates comme Juncker. »
Ted Malloch : « Eh bien, j’avais autrefois un poste diplomatique qui m’a permis de contribuer à l’effondrement de l’Union soviétique, alors peut-être qu’il y a une autre Union qui aurait besoin d’être un peu domptée. »
» Un peu plus tard, Neil a demandé à Malloch ce qu’il pensait du président de la Commission européenne.
» Andrew Neil : « Que pensez-vous de M. Juncker?
» Ted Malloch : « Eh bien M. Juncker était un bon maire d’une ville du Luxembourg et peut-être qu’il devrait retourner faire la même chose.
» Neil a éclaté de rire, ravi de cette réponse. Les politiciens parlent rarement franchement à la TV. Les diplomates encore moins, parce que soi-disant, dans leur fonction il faut être discret et ne pas faire de vagues. Quant à l’UE, aucune personne d’influence, à l’exception de Nigel Farage, n’a jamais osé en parler à la télévision de façon aussi désobligeante. Mais voilà que Ted Malloch, qui parle tout droit devant lui et qui méprise l’UE, est la personne que le président Trump a choisie pour représenter les États-Unis à l’Union européenne. Et la raison pour laquelle il a fait cela, c’est parce que, tout comme Malloch l’a clairement avoué lui-même, le président Trump n’aime pas l’UE :
» Ted Malloch: « Il n’aime pas les organisations supranationales, non élues, où les bureaucrates font n’importe quoi et qui ne sont pas vraiment démocratiques ».
» On assiste à une révolution et je pense que même ceux d’entre nous qui soutiennent Trump et le Brexit sont surpris par la rapidité du changement. Rappelez-vous que l’Union européenne a été en partie la création des États-Unis, qui ont vu cela comme un moyen de maintenir la paix en Europe en utilisant la France comme contrepoids à l’Allemagne, avec une Angleterre qui jouait à contrecœur les intermédiaires. C’est pourquoi les présidents successifs des États-Unis ont tous soutenu cette institution corrompue, inefficace et antidémocratique. Et voilà que tout à coup, tout change.
»L’UE est finie et le nouveau président des États-Unis fait de son mieux pour accélérer sa fin. »
Il y a une “guerre de la communication” qui est menée par Trump et son administration, et surtout avec des individualités depuis longtemps persuadées de la puissance de la communication et de la nécessité d’une révolution, et ces personnalités de type activiste se trouvant dans l’orbite de Breitbart d’une part, des Britanniques eurosceptiques, fortement sinon idéologiquement anti-UE proche de l’UKIP d’autre part. Cette “guerre de la communication” est purement destructrice (essentiellement déstructurante, par les chocs successifs dont elle procède). Elle consiste d’abord dans des déclarations sensationnelles et absolument différentes du style diplomatique et retenu courant dans le Système, et bien entendu complètement étrangères au Politically Correct ; les tweets de Trump sont l’archétype de cette tactique, mais aussi, désormais, des déclarations individuelles du type de celles de Malloch, dont on peut penser qu’elles sont une amorce de la diffusion de cette tactique.
La réaction du Système est classique : le silence. La presse-Système a appris, durant la campagne USA-2016, que le silence était l’arme ultime, la dernière possible, contre les attaques incessantes de Trump. C’est une tactique désespérée, montrant bien l’embarras du Système, et une tactique qui ne peut être complètement verrouillée, parce que le milieu du journalisme n’est ni contrôlable d’une façon hermétique, ni discipliné comme l’est une administration soumise aux directives précises de sa direction. Il y a l’attrait professionnel et le bénéfice concret (audience, notoriété, rapport vénal) du sensationnel, en même temps que les attitudes personnelles qui ne peuvent être contrôlées. Ce passage de commentaire de Delingpole, qui s’y connaît dans ces milieux-là de la presse-Système (à noter qu’il désigne le journaliste de la BBC par son prénom, c’est un ami), explique bien ce que nous voulons dire : « Neil se mit à rire comme un homme qui ne pouvait croire à sa chance. Les politiciens ont rarement cette franchise durant les shows politiques à la TV. Les diplomates encore plus parce que, en principe, leur travail est d’être discret, arrangeants en adoucissant le propos, évitant les propos abrupts. Pour ce qui concerne l’UE, personne de quelque influence que ce soit, à l’exception de Nigel Farage, n’en a jamais parlé d’une façon aussi libre d’entraves à la télévision. Pourtant ce Ted Malloch, au parler si direct et ne dissimulant pas une seconde son hostilité à l’UE, c’est l’homme que le président Trump a choisi pour représenter les USA à l’UE… »
Les déclarations de Malloch n’ont pas fait grand bruit, et notre hypothèse est qu’elles seront à peine diffusées à l’intérieur de l’UE et au niveau de sa direction, parce qu’elles ne sont pas “convenables”, comme ne sont pas convenables “ces gens-là”. De même, l’UE a mis plus de six semaines après l’élection de Trump, avant de seulement envisager de chercher à entrer en contact avec l’équipe de transition du président-élu, selon l’argument implicite, – car le problème ne fut jamais posé explicitement mais les mots employés par les fonctionnaires parlent d’eux-mêmes, – qu’on ne parle pas avec “ces gens-là” avant qu’ils n’aient été conduits à demander merci. Dans ce cas ce ne fut pas le cas, puisque la lettre de “félicitations” Tusk-Juncker envoyée le 9 novembre, après son élection, qui proposait à Trump un sommet avec les dirigeants de l’UE “à condition” que ce sommet se fasse sous les auspices des “valeurs” que ces personnages chérissent et dont ils semblaient douter que Trump en fût préoccupé, – la démocratie, les droits de l’homme, les frontières ouvertes, etc., – cette lettre n’a toujours pas reçu de réponse et le sommet UE-Trump languit d’autant de ne pas exister…
Ainsi, le silence comme politique de la communication pour traiter les informations venues de l’adversaire, qui trouve d’ailleurs sa riposte dans le silence de Trump lorsqu’on lui envoie une lettre de cette sorte, a-t-il des limites comme tactique ; les élections USA-2016 l’ont d’ailleurs largement démontré, la presse-Système n’ayant pu empêcher cette élection. Il existe désormais une presse-antiSystème, qui se charge du travail de diffusion des nouvelles antiSystème venues du cœur du Système. Finalement, même si ces déclarations, qui font partie du dispositif de destruction de Trump, sont en général barrées et ignorées par la presse-Système et les institutions-Système, elles circulent tout de même au niveau du Système et finissent par atteindre, parfois dans une mesure inespérée, leur but principal, qui est de créer un climat d’extraordinaire insécurité pour les dirigeants du Système. (...)" source saker/Grasset