09/10/2007
Guevara, l'enfer du mythe.
Chacun pourra le constater, les vingts ans de la mort du révolutionnaire Guevara sont l'occasion d'un nouvel éloge panégyrique de ce personnage sombre et torturé aux mains rouges du sang des Cubains (entre autres).
Fidel Castro se referait sans cesse à la révolution Française : le Paris Jacobin avait eu son Saint Just, La Havane des guérilleros avait son Che Guevara, version latino-américaine de Netchaïev (nihiliste et révolutionnaire Russe qui soutenait la thèse selon laquelle le révolutionnaire doit accentuer les souffrances du peuple, afin que celui-ci trouve le courage de se révolter…).
C’est donc l’occasion de revenir sur cet autre personnage mythique de la révolution Cubaine, dont l’effigie orne encore bon nombre de chambres d’étudiants..
J'ai écrit ce post il y a quelques mois, il est toujours d'actualité; c'est donc mon hommage personnel au criminel Guevara.
La jeunesse et les voyages.. qui la forment.
Fils de bonne famille né à Buenos Aires en 1928, Ernesto Guevara sillonne très jeune le sous-continent américain. Ce jeune bourgeois fragilisé par un asthme chronique termine ses études de médecine après un périple à mobylette entre la Pampa et la jungle d’Amérique centrale. La jeunesse de Guevara fut tourmentée, instable et indécise : un père lointain, indulgent mais peu sécurisant, une mère fantasque, cultivée et politisée. Les témoignages directs sur l’enfance du Che sont rares, souvent de peu de valeurs et rédigés à posteriori dans le culte du héros ; Des récits sur sa jeunesse, il suffit de retenir comme élément décisif pour l’adulte, l’asthme et le rapport qu’il entretint avec cette maladie, les longs voyages en Amérique Latine et ce qu’il y cherchait. Dans son « Journal de Bolivie » (Paris, Maspero, 1968), il écrit : « pendant vingt-neuf ans , j’ai eu une compagne : l’asthme » : l’homme inflexible des années soixante s’est partiellement forgé à travers la lutte contre cette maladie.
Le tourment essentiel de sa jeunesse ne fut cependant pas sa maladie mais l’anxiété qui s’exprimait à travers ses longs voyages. L’univers de Guevara fut ordonné dés la jeunesse autour de deux pôles extrêmes : le riche, arrogant, brutal criminel…et le misérable¸humilié, exploité, dépossédé ; Curieusement, alors que sa famille n’était pas pauvre, il avait dés la jeunesse fait de son monde, un monde de pauvreté, de désordre et de brutalité, négligeant volontiers son hygiène et son apparence physique. On retrouve ce penchant à la morbidité dans son journal de Bolivie, ou il consigne scrupuleusement ses mauvaises odeurs, ses troubles intestinaux.. Globalement c’est un sentiment de détresse qui ressort de cette jeunesse chaotique.
Au début des années cinquante, il rencontre la misère au Guatemala à l’époque du régime progressiste de Jacobo Arbenz qui est renversé par les Américains ; Guevara apprend à haïr les Etats-Unis. « J’appartiens, de par ma formation idéologique à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer », écrit-il à un ami, René Ramos Latour, en 1957 (1).
Il se marie une première fois durant l’été 1954 avec Hildéa Gadéa, militante marxiste, censée avoir jouée un rôle déterminant dans sa culture politique. « Quand on est révolutionnaire, l’important c’est de rencontrer une bonne camarade, la beauté n’a pas d’importance », dit-il au journaliste J P LLada. Guevara quitta sa première femme et sa fille en 1956 pour s’embarquer sur le granma, puis il quitta la seconde et ses quatre enfants en disparaissant en 1965 : cela ne prouve pas qu’il ne tenait pas à eux, cela illustre l’absolutisation de la Révolution par le révolutionnaire.
La jeunesse de Guevara apparaît donc austère; elle n’a rien de séduisant ni d’exceptionnel, rien non plus qui annonce une grande destinée ; Ce qui manque, c’est la source de la violence, du fanatisme, de cette exaltation de la haine qu’on trouve chez le personnage public surtout à la fin de sa vie : « Nous devons dire ici ce qui est une vérité connue que nous avons toujours dite au monde : oui nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra » (2)
Cette capacité de violence et cette audace à la justifier ne furent pas sans attrait pour une certaine jeunesse des années soixante.Guérilla et révolution
Une nuit de 1955 au Mexique, il rencontre un jeune avocat cubain exilé, qui prépare son retour à Cuba : Fidel Castro. Cette rencontre est cruciale : désormais Guevara a un but, il est prés à « mourir en pays étranger pour un idéal si élevé » (5).
Guevara décide de suivre ces Cubains qui débarqueront sur l’île en décembre 1956. Nommé dans les maquis commandant d’une colonne, il se fait très vite remarquer par ses aptitudes au combat exceptionnelles, à la guérilla mais aussi par sa dureté (à son égard et à celui des autres) et son ascétisme. Ce partisan de l’ « autoritarisme à tous crins », selon son ancien compagnon de Bolivie Régis Debray (4), qui veut déjà imposer une révolution communiste, se heurte à plusieurs commandants cubains authentiquement démocrates. Le choix en faveur de la lutte armée, le rejet des voies démocratiques, électorales est désormais clair : tout ce qui n’était pas lutte violente n’était pour lui que « trahison » (5). Roger Marsant diplomate à la Havane et proche du Che l’a décrit ainsi : « Cet homme n’aimait que la mort (…) Sa passion ne pouvait s’assouvir que dans le combat dans l’ombre, dans la guerre d’embuscade (...) En se rapprochant du pouvoir, il avait laissé se développer en lui une sorte de psychose de la destruction qui le poussait à écraser ceux qu’il dominait et à abattre ceux qui le dominaient ». Le monde de Guevara fut toujours d’une simplicité radicale: nous/ et les autres ; cette rigidité jointe à une violence latente, en fit un personnage redoutable, d’autant plus redoutable que bientôt il eut un immense pouvoir.A l’automne 1958, il ouvre un second front dans la plaine de Las Vilas, au centre de l’île et remporte un succès éclatant en attaquant à Santa Clara un train de renfort militaire envoyé par Batista : les militaires s’enfuient, refusant le combat. Une fois la victoire acquise, Guevara occupe la charge de « procureur » et décide des recours en grâce. La prison de la Cabana, ou il officie est le théâtre de nombreuses exécutions, notamment d’anciens compagnons d’armes demeurés démocrates. Il est surnommé "carnicerito" (le petit boucher) pour son implication drecte dans la torture et le meurtres de nombreux cubains, le cigare au bec.
Nommé ministre de l’industrie et directeur de la banque centrale à 31 ans, il trouve l’occasion d’appliquer sa doctrine politique collectiviste, imposant à Cuba le modèle « soviétique ». Méprisant l’argent, mais vivant dans les quartiers privés de La Havane, ministre de l’économie mais dépourvu des plus élémentaires notions d’économie, il finit par ruiner la banque centrale. Il est plus à l’aise pour instituer les « dimanches de travail volontaire », fruit de son admiration pour l’URSS et la Chine, dont il saluera la « révolution culturelle » (Simon Leys montra bien que cette dernière ne fut qu’une vaste purge sanglante, prélude à une reprise ne main du pouvoir
Dogmatique, froid et intolérant, Guevara est en complet décalage avec le naturel ouvert et chaleureux des Cubains.
Assez paradoxalement (dut penser Guevara), l’obstacle principal à sa révolution collectiviste, ce furent les ouvriers !
Brusquement placé en situation de pouvoir face aux ouvriers, il leur proposa un modèle qu’il croyait évident mais qui était inquiétant : il fallait que les ouvriers soient prêts à se sacrifier pour la révolution, qu’ils la servent sans demander d’avantages pour eux-mêmes !, tout en les dépouillant des maigres avantages et garanties qu’ils avaient acquis au cours des deux décennies précédentes sous Batista. Guevara, qui croyait en la violence dans la paix comme dans la guerre, conçut alors des solutions coercitives ou rééducatives ; Régis Debray fait remarquer (4) : « C’est lui et non Fidel qui a inventé en 1960, dans la péninsule de Guanaha, le premier camp de travail « correctif » » et cite Guevara: « Je ne peux pas être ami avec quelqu’un s’il ne partage pas mes idées » (4), dit ce disciple de l’école de la Terreur qui baptise son fils Vladimir en hommage à Lénine. Par ailleurs, en invitant les ouvriers à s’organiser, Guevara excluait toute idée de défense ou de revendication de la classe ouvrière : la fonction des syndicats était à l’avenir d’expliquer les nouveaux sacrifices (toujours temporaires) présentés comme les devoirs révolutionnaires de chacun : « Nous devons être prêts à sacrifier tout avantage personnel au bien collectif » (6). Guevara avait retrouvé naturellement, dés son accession au pouvoir, le syndicalisme officiel des régimes socialistes, le syndicat comme courroie de transmission.
Désireux d’exporter la révolution dans sa version Cubaine et aveuglé par un anti-américanisme sommaire, il s’emploie à propager les guérillas à travers le monde, selon le slogan (mai 1967): « Créer deux, trois, de nombreux Vietnam », ou bien « Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies… » (1). En 1963, il est en Algérie puis à Dar es salam, avant de gagner le Congo ou il croise le chemin d’un certain désiré Kabila, un autre marxiste, devenu aujourd’hui maître du Zaïre qui ne répugne pas au massacre de populations civiles.
Fin d’un révolutionnaire
Il semble que Castro ait utilisé Guevara à des fins tactiques. Une fois leur rupture consommée, Guevara gagne la Bolivie. Tentant d’appliquer la théorie du « foco » (foyer) de guérilla, dédaignant la politique du PC Bolivien, ne rencontrant aucun soutien de la part des paysans dont pas un ne rejoindra son maquis itinérant : « De toutes les chose prévues, la plus longue a été l’incorporation de combattants Boliviens » (7 ). Alors que dans la Guerre de guérilla , Guevara avait affirmé le rôle fondamental de la paysannerie et de l’appui de la majorité de la population locale à l’avant garde combattante, comme condition sine qua non, il constatait l’indifférence totale, la peur et parfois l’opposition des paysans. « La peur reste ancrée dans la population », 7 juillet 1967 (7) ou bien « Le manque de contact est toujours total (…), le manque d’engagement de la part des paysans continue à se faire sentir » 6 juin 1967 (7). Plus encore : « « La base paysanne ne se développe toujours pas, bien qu’il semble que nous finissions par obtenir la neutralisation du plus grand nombre au moyen de la terreur organisée ; le soutien viendra ensuite » 19 juin 1967 (7) ! Cette annonce claire du recours à la terreur organisée contre les paysans n’empêcha jamais une partie de ses admirateurs de vanter sa bonté et sa générosité…
Isolé et traqué, Guevara est capturé le 8 octobre 1967 et exécuté le lendemain, par l’armée Bolivienne.
(1) La lune et le caudillo, Jeannine Verdès-Leroux, Gallimard 1989.
(2) Discours 19eme assemblée des Nation Unies, 11 décembre 1964.
(3) Les habits neufs du président Mao ; Simon Leys, 1975. Champ libre.
(4) Loués soient nos seigneurs, Gallimard, 1996.
(5) Guevara, Souvenirs de la guerre révolutionnaire, 1967 ; Maspero.
(6) E C Guevara « La classe ouvrière et l’industrialisation de Cuba » ; Bohemia 17 jan 1964.
(7) E C Guevara. Journal de Bolivie. Paris Maspero, 1968.
08:15 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : guevara, castro, revolution, cuba, assassin
07/10/2007
Des Lois et de la "désobéissance civile".
A midi, ce jour, j’écoutais, comme souvent, France Inter et ses émissions hallucinantes de parti pris et de propagande progressiste. Pourquoi alors ne pas écouter plutôt La flûte enchantée, pourrait-on me rétorquer ? Plusieurs raisons à cela. Parce que j’écoute aussi Die Zauberflöte, parce qu' il est toujours nécessaire de se familiariser avec la novlangue progressiste qui règne en maître sur nos média et parce qu’il m’est physiquement impossible d’écouter tout autre radio commerciale saturée de messages publicitaires toujours plus ahurissants de débilité (au sens propre).
Ce jour, donc, à la fin d’une émission de la mi journée présentée par une pintade enthousiaste formatée au politiquement correct, portant sur certains apports linguistiques (indéniables) de l’Arabe à nos belles langues romanes cet ersatz de journaliste termina l’émission par cette phrase merveilleuse de courage et d’engagement citoyen: « et les mots, contrairement aux hommes, ne peuvent pas être expulsés. »
Il n’y a pas si longtemps, une telle assertion sur une chaîne du service public aurait suffit à mettre un terme ipso facto à la carrière inepte de cette pasionaria de la cause sans papieriste. Aujourd’hui, sous les flots continus de la propagande progressiste appellant à la désobéissance civile, c'est-à-dire à la simple transgression de la loi commune, un tel manquement au devoir de réserve de la part de journalistes du service public non seulement ne choque plus que quelques esprits encore lucides, dont votre serviteur, mais parait sans doute naturel au plus grand nombre.
A travers certains faits de société comme le combat pour la régularisation inconditionnelle des « sans-papiers » alias de simple délinquants, le refus, sinon de la culture, mais aussi de l’expérimentation des OGM par des organismes de recherche publics, le climat d’insurrection armée qui règne de façon chronique dans de nombreux ghettos Africains de notre territoire, on peut mesurer à quel point les notions de justice, d’injustice, et d’obéissance aux lois de la Cité ont subit un dévoiement profond.
Qu’il me soit permis de recourir encore une fois aux Anciens, notamment à Platon, pour illustrer le sens originel de ces concepts, autrefois vivants et chargés de sens, aujourd’hui de simples coquilles vides dans la bouche de politiciens veules et surtout incultes.
Dans son Criton, Platon relate les derniers moments de Socrate, alors condamné à mort par ses pairs pour apostasie et corruption de la jeunesse. Son ami Criton, bien décidé à lui éviter la ciguë par la fuite et l’exil, mène avec son maître une réflexion philosophique sur les notions de justice et d’injustice. Socrate, à l’issue d’un court dialogue, et faisant intervenir un troisième interlocuteur-les Lois-, démontre à son ami qu’il vaut mieux affronter la mort plutôt que de contrevenir aux lois de la cité et ainsi commettre l’injustice.
Pour les Grecs, dont la raison de vivre était que la vie ait un sens et non pas qu’elle soit agréable, l’alternative qui s’offrait à celui qui était en désaccord avec les Lois de la Cité était simple : l’exil ou bien convaincre ses pairs de la nécessité de changer ces dernières. Par contre, et c’est le sens de la réflexion de Socrate à quelques heures de son trépas, celui qui élevé dans le respect des Lois de la Cité, y contrevient doit subir le jugement de ses pairs et l’accepter pour ne pas commettre l’injustice.
Socrate : « Eh bien, considère la chose sous le jour que voici. Suppose que, au moment ou nous allons nous évader d’ici, viennent se dresser devant nous les Lois et l’Etat, et qu’ils nous posent cette question :
Les Lois : « Dis-moi, Socrate, qu’as-tu l’intention de faire ? Ce que tu entreprends de faire, est-ce autre chose que de tramer notre perte à nous, les Lois et l’Etat, autant qu’il est dans ton pouvoir ? Crois-tu vraiment qu’un Etat arrive à subsister et à ne pas chavirer, lorsque les jugements rendus y restent sans force, et que les particuliers se permettent d’en saper l’autorité et d’en tramer la perte ? (…)Socrate : Que répliquons-nous à ce discours, Criton ? Les Lois ont-elles tort ou ont-elles raison ?
Criton : Pour ma part, je crois qu’elles ont raison.
Les Lois : Considère donc, Socrate, si nous n’avons pas raison de dire qu’il est injuste d’entreprendre de nous traiter comme tu projettes de le faire. Nous qui t’avons mis au monde, nourri, instruit, nous qui vous avons, toi et les autres citoyens, fait bénéficier de la bonne organisation que nous étions en mesure d’assurer, nous proclamons pourtant, qu’il est possible à tout Athénien qui le souhaite, après qu’il a été mis en possession de ses droits civiques et qu’il a fait l’expérience de la vie publique et pris connaissance de nous, les Lois, de quitter la Cité, à supposer que nous ne lui plaisons pas, en emportant ce qui est à lui, et aller là ou il le souhaite. (…) Mais si quelqu’un de vous reste ici, expérience faite de la façon dont nous rendons la justice et dont nous administrons la Cité, celui-là, nous déclarons que désormais il est vraiment d’accord avec nous pour faire ce que nous pourrions lui ordonner de faire. Et nous affirmons que, s’il n’obéit pas, il est coupable à trois titres : parce qu’il se révolte contre nous qui l’avons mis au monde, parce que nous l’avons élevé, et enfin parce que, ayant convenu de nous obéir, il ne nous obéit pas sans même chercher à nous faire changer d’avis. » (Criton, 49e-50b)Les mots ne peuvent donc pas "être expulsés" car eux n'ont pas transgressé la loi. La véritable injustice est donc bien la désobéissance à la loi commune. Ceux qui sont en désaccord avec nos lois ont tous loisirs de s’exiler sous des cieux plus favorables (s’ils existent) ou bien d’essayer légalement, dans le respect des usages, de changer la loi.
Que des journalistes du service public ou des hommes en charges de l’autorité publique (maires parrainant des « sans papiers » ou préfets refusant d’exécuter les décisions de justice à l’égard de simples délinquants, enseignants manquants gravement au simple devoir de reserve) ne soient pas sanctionnés, que leur « résistance citoyenne » soit valorisée alors même qu’elle contrevient directement à nos lois, que nombre d’organisations subversives puissent imposer leur discours par la violence et la coercition, tout cela montre assez bien l’état de déliquescence de notre société.
Pour terminer sur une note d’espoir, dans la même émission « citoyenne », il était demandé à une petite fille de 11 ou 12 ans de nommer un aventurier ; in petto je pensais alors immédiatement à Marco Polo, Giotto, Reinhold Messner ou Thémistocle… Non! La petite fille répondit : « aujourd’hui l’aventure est sociale, l'aventurier, c'est Coluche et ses restos du coeur. » La relève est donc assurée.
Bon dimanche !
15:00 | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : france inter, progressiste, désobéissance civile, lois, transgression, injustice, sans papiers
06/10/2007
Debray ou Platon?
C’est comme ça. Il y a des jours ou certaines lectures s’imposent. J’ai, depuis quelques années, pris l’habitude de lire plusieurs ouvrages à la fois ; et il est bien rare que j’en oublie un en chemin. Par exemple tout récemment ais-je pu lire simultanément (le plus souvent relire, pour être juste) L’étrange défaite de Bloch, Notre avant guerre de Brasillach, L’apologie de Socrate par Platon, le Journal de Drieu la Rochelle et L'expérience du passé de Ran Halévi.
Hier soir, je pris avec curiosité le dernier opus de Régis Debray (surnommé ironiquement Danton par Guevara…) au titre prometteur (L’obscénité démocratique). Or, malgré ce, et même si l’on sent bien l’auteur sincèrement révolté par de nombreux aspects de notre époque moderne, la prose de Danton est d’une lourdeur somnifère et l’on souhaiterai presque que Debray suive le conseil que donne Roxanne dans Cyrano: délabyrinther ses sentiments…
« Le fait, sans doute malheureux mais bien réel, qu’un ensemble social ne puisse se produire comme totalité organisée sans s’aliéner dans une instance en surplomb d’elle-même donne à la médiation représentative sa place centrale et névralgique (et à la médiologie, son ticket d’entrée au premier rang des sciences politiques) »…sic!
Alors donc que Debray me tombait littéralement des mains, je repris pour le terminer L’apologie de Socrate lorsque ce dernier se sachant condamné à mort relativise sa peine. En 399 avant JC, à Athènes, Socrate comparait en effet devant le Tribunal de la Cité. Accusé de ne pas reconnaître l’existence des dieux traditionnels, de créer de nouvelles divinités et de corrompre la jeunesse. Ce fait, qui pourrait être banal, est élevé par Platon au rang de mythe fondateur de la philosophie (la pratique de la philosophie seule fait que la vie vaut d’être vécue). Et, plus tard, Socrate oppose à son ami Criton qui lui propose de fuir, le verdict du philosophe : mieux vaut affronter la mort plutôt que de contrevenir aux lois de la cité et ainsi, commettre l’injustice.
Autant la prose de Debray est tourmentée et obscure à mes yeux, autant celle de Platon est simple et limpide.
« En effet,si, en arrivant chez Hadès, on se trouve débarrassé de ces gens qui prétendent être des juges, et qu’on y trouve des juges qui sont réellement des juges, et notamment ceux-la qui, dit-on, rendent là-bas la justice, Minos, Rhadamante et Eaque, Triptolème aussi, et tous ceux qui, parmi les demi-dieux, ont été des justes durant leur existence sur terre, pensez-vous que le voyage n’en vaudrait pas la peine ? Et encore, la compagnie d’Orphée, de Musée, d’Hésiode et d’Homère, que ne donneriez-vous pas pour en jouir ? Pour ma part, je veux bien mourir mille fois si c’est la vérité. Dans quelles merveilleuses conversations je me lancerai, personnellement, lorsque je rencontrerai Palamède, Ajax, le fils de Télamon, et tel ou tel héros du temps passé qui est mort par suite d’un jugement injuste ; comparer mon sort au leur ne me serait pas désagréable, je le crois. Et tout naturellement le plus intéressant, c’est que je pourrais, en conversant avec eux, soumettre les gens de là-bas à l’examen et à l’enquête auxquels je soumets les gens d’ici-bas, pour découvrir qui d’entre eux sait quelque chose et qui ne sait rien en s’imaginant savoir quelque chose. Que ne donnerait-on pas, juges, pour soumettre à cet examen celui qui a conduit devant Troie cette grande armée, Ulysse ou Sisyphe, et tant d’autres hommes et de femmes que l’on pourrait nommer ? Discuter avec ceux de là-bas, vivre en leur société, les soumettre à l’examen, ne serait-ce pas le bonheur ? »
Sans doute.
19:20 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : régis debray, platon, socrate, athénes, criton, homère, hésiode
30/09/2007
Solitaire.
« Germain Millet était de ces êtres, si incompréhensibles aujourd’hui, qui ont le goût de la solitude : une solitude qui était plus un accomplissement que de la misanthropie ou la contestation de l’ordre social qu’elle est devenue dans une société qui a fait du vivre ensemble, de la transparence, du festif, de la convivialité, une des figures de la démocratie où les solitaires sont suspects aux vertueux hédonistes du nouvel ordre moral. »
*
« Nous vivons avec les défunts bien plus qu’en compagnie des vivants ; notre mémoire les accueille inlassablement, ces défunts, non seulement ceux que nous avons côtoyés, mais les autres, l’ombreuse armée de ceux que les livres et les récits nous ont rendus familiers et qui nous sont plus proches que les inconnus croisés chaque jour. »
*
« N’était-il pas plutôt parmi ces foules comme un spectateur amusé ? Reste que le 6 février 1934, jour ou des manifestations proches de la guerre civile éclatèrent à Paris et dans les grandes villes de France, il éprouva le besoin d’aller se renseigner autour du monument aux Morts, au carrefour Saint Etienne, et ne rentra que le matin, sans chapeau, tous les boutons de ses vêtements arrachés, et la tête en sang, soit à cause des gardes mobiles, soit de certains manifestants qui n’avaient peut-être pas apprécié qu’il fume le cigare en pareilles circonstances. Dernière hypothèse qui me plait et qui, sans faire de lui une sorte de dandy, le montre différent, distant mais non hautain, marginal par l’esprit, et pestant contre L’Humanité à qui il reprochait d’avoir poussé le peuple à ces extrémités. Il n’était d’aucun parti mais seul et désireux de l’être. »
Richard Millet. Petit éloge d'un solitaire.
10:26 | Lien permanent | Commentaires (8)
25/09/2007
Ach, l'humour.
Les syndicats de journalistes demandent une loi sur l'indépendance des médias
Les syndicats de journalistes ont appelé, lundi 24 septembre, lors d'une conférence de presse réunissant l'ensemble des organisations syndicales (SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT, SJ-CFTC, SPC-CFE-CGC, SJ-FO), à une forte mobilisation de la profession pour défendre l'indépendance des rédactions et le pluralisme de la presse. "Rarement l'indépendance des journalistes n'avait été autant bafouée. Rarement, l'un des droits fondamentaux du citoyen, à savoir l'accès à une information honnête, complète, pluraliste et indépendante des pressions politiques, financières et commerciales, n'avait été autant menacé", ont dénoncé les syndicats. LEMONDE.FR avec AFP | 25.09.07 |
Sans commentaires…
11:20 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : l'hopital se fout de la charité
23/09/2007
Arthur est mort.
« Oh mon enfant, que j’ai de peine ! Toi, tu dors, et ton cœur enfantin repose dans cette affreuse demeure aux clous d’airain, au milieu des ténèbres de la nuit et de l’obscurité redoutable. Et sur tes beaux cheveux quand passe la vague profonde, tu n’y prends garde, non plus qu’au murmure des vents, couché dans ta couverture de pourpre, ô charmant visage ! Ah ! Si le danger existait pour toi, ton oreille délicate serait attentive à mes discours. Je t’en prie, dors mon petit ; dorme aussi la mer ; dorme l’immense fléau. Montre nous, ô Zeus, montre nous une volonté plus clémente ; si mes paroles sont trop hardies, pour mon enfant, pardonne-les moi. »
Simonide
17:30 | Lien permanent | Commentaires (0)
13/09/2007
Le plus petit nombre.
"Dans les choses profondes, c’est toujours le plus petit nombre qui est le plus perspicace ; la majorité, elle, ne s’entend qu’aux évidences ; Il est absurde d’invoquer l’assentiment général en métaphysique alors qu’on n’en tient jamais compte dans les questions d’ordre physique, sujettes aux illusions des sens, comme, par exemple, le mouvement de la Terre autour du soleil. En politique, en revanche, s’opposer à l’opinion de la majorité est toujours un exercice périlleux qui s’avère à la longue parfaitement inutile."
Giacomo Léopardi, Pensées, éditions Allia, 2004, p.19.
14:40 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : giacomo léopardi
Roman way of life.
Il y a quand même une bonne nouvelle en cette rentrée 2007, la réouverture du blog de TODOMODO, MOS MAIORUM.
A visiter sans modération: http://mosmaiorum.unblog.fr/
08:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
08/09/2007
Lyautey.
"Je ne puis être Bonapartiste à cause de l'assassinat du Duc d'Enghien ni Orléaniste à cause de la mort du roi; je ne puis être républicain car nul honnête homme ne saurait l'être, je suis donc légitimiste."
22:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lyautey, légitimiste, bonapartiste, orléaniste, républicain
01/09/2007
Civilisation
« Même si nous en avions la tentation, beaucoup de considérations puissantes nous en empêcheraient. Tout d’abord et surtout, les images et les statues des Dieux ont été brûlées et réduites en pièces : cela mérite vengeance, de toutes nos forces. Il n’est pas question de s’entendre avec celui qui a perpétré de tels forfaits. Deuxièmement, la race Grecque est du même sang, parle la même langue, partage les mêmes temples et les mêmes sacrifices ; nos coutumes sont voisines. Trahir tout cela serait un crime pour les Athéniens. »
(Hérodote, The Persians wars, Penguin books, 1972.)
Ainsi parle Hérodote, nommant les éléments culturels clés qui définissent une civilisation pour les Athéniens, et voulant rassurer les Spartiates sur le fait qu’ils ne les trahiraient pas en faveur des Perses. Le sang, la langue, la religion, la manière de vivre : voila ce que les Grecs avaient en commun et ce qui les distinguait des Perses et des autres non Grecs.
Mais de tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est sans doute la religion, comme le souligne Hérodote. Dans une large mesure, les principales civilisations se sont identifiées au cours de l’histoire avec les grandes religions du monde.
Inversement, des populations faisant partie de la même ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent s’opposer, comme c’est le cas au Liban, en ex-Yougoslavie et dans le sous-continent Indien.
Sans doute à méditer en ces temps d’élargissement Européen et de propagande sans-frontiériste et métissophile.
20:45 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : civilisation, grecs, perses, hérodote, spartaites
25/08/2007
L'Aurore chez Homère
« Lorsque parut l’Aurore matineuse aux doigts roses, alors ils gagnèrent le large, en quête de la vaste armée des Achéens. » (L’Iliade I, 452-497)
« Les chevaux, paissant l’orge blanche et l’avoine, debout prés des chars, attendaient que l’Aurore montât sur son trône superbe. » (L’Iliade, XII, 278-289)
« Mais lorsque enfin, l’Aurore aux belles tresses, eut amené le troisième jour, le vent tomba aussitôt et un calme plat régna sur la mer. (L’Odyssée, VI, 33-393)
« L’Aurore aux voiles de safran se répandait sur toute la terre, quand Zeus que réjouit la foudre assembla les dieux sur la plus haute cime de l’Olympe aux gorges sans nombre. » (L’Iliade VIII, 1-38)
« L’Aurore sortait de son lit. Quittant la compagnie du glorieux Tithon [frère aîné de Priam, enlevé par l’Aurore qui l’épousât], elle se levait pour apporter la lumière aux Immortels et aux humains (…). » (L’Iliade, XI, 1-36)
19:15 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : homère, aurore
07/08/2007
Des otages à Rome.
En -256, le consul Marcus Attilius Regulus qui combat Carthage en Afrique, est vaincu, et fait prisonnier. Les Puniques, désireux de mettre un terme avantageux à la guerre, renvoient le consul à Rome, afin d’y négocier un échange de prisonniers ; Avant de s’embarquer, Regulus donne sa parole, et chacun sait qu’un Romain n’en a qu’une, de revenir s’il échoue dans les pourparlers. Mais, invité devant le sénat à donner son avis, après avoir exposé les offres de l’ennemi, Marcus Attilius déclare, dédaigneux, qu’un tel échange ne saurait être que nuisible à Rome. Va-t-on restituer aux Carthaginois de jeunes guerriers contre la vie d’un magistrat vieillissant et déshonoré, et contre celles de légionnaires qui n’ont su ni vaincre ni mourir ? Les propositions Puniques sont repoussées et Regulus rembarque pour l’Afrique pour s’y livrer. Incapables d’apprécier la grandeur de son geste, les perfides adversaires de Rome vont le faire mourir lentement avec des raffinements dans l’horreur : qui peut en effet ignorer l’atroce agonie de cet homme, enfermé dans une cage hérissée de lames, et condamné à mourir d’épuisement, faute de sommeil, après qu’on lui eût coupé les paupières…
Mieux vaut le savoir, et les légions le savent : Rome ne rachète ni n’échange jamais ses prisonniers.
Nouvel exemple quelques années plus tard, le 2 aout -216, quand Hannibal écrase les armées Romaines devant Cannes et menace Rome. Le sénat, même au milieu de la terrible panique qui s’est emparée de la Ville n’hésite pas : entre racheter des soldats prisonniers et armer des esclaves, décision à la mesure du désespoir ambiant, il choisit d’armer les esclaves…
19:48 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rome, otages, esclaves, punique, hannibal
06/08/2007
L'oubli de Dieu.
-Pourquoi les électeurs Espagnols ont-ils accordé une victoire de facto à l’apaisement, lors des élections de mars 2004, tenues quelques jours après que, les bombes d’al Qaida aient tué des centaines de personnes et blessé des milliers d’autres dans une gare de Madrid ?
-Pourquoi l’Europe est-elle sur la voie de ce que le politologue Français Pierre Manent appelle la « dépolitisation ». Pourquoi, comme le dit Manent, l’Europe se drogue-t-elle « elle-même avec l’humanitarisme, afin d’oublier qu’elle existe politiquement de moins en moins » ? Pourquoi ce même Manent a-t-il l’impression que « les plus grandes ambitions actuelles des Européens sont de devenir inspecteurs des prisons Américaines ? »
-Pourquoi tant d’intellectuels européens sont-ils « christophobes », Pourquoi dans la culture populaire européenne, le christianisme est-il l’objet de caricatures grossières que l’on ne tolérerait pas pour l’Islam ou le Judaïsme ?
-Pourquoi tant de dirigeants politiques ont-ils insisté pour que le projet de nouvelle constitution européenne renie délibérément mille cinq cent ans de contributions du christianisme à la définition de l’Europe ?
-Pourquoi l’Europe commet-elle un véritable suicide démographique en se dépeuplant elle-même dans ce que l’historien Anglais Niall Ferguson appelle « la plus grande réduction de la population européenne depuis la peste noire du XIV° siècle » ? Pourquoi dix-huit pays d’Europe ont-ils un taux de croissance naturelle négatif ? Pourquoi aucun pays d’Europe n’affiche-t-il un taux de fécondité propre à assurer le renouvellement des populations ? (sauf la France dont on sait qu’il est obtenu grâce à l’immigration africaine)
-Pourquoi les politiciens ou l’opinion publique européens sont-ils incapables de tirer de ces chiffres démographiques alarmants les conclusions qui s’imposent sur la faillite imminente de leurs systèmes d’assurances sociales, de santé et de retraire. Et que se passe-t-il lorsqu’un continent entier, plus riche et plus puissant qu’il ne l’a jamais été auparavant, refuse-t-il de créer son avenir humain au sens le plus élémentaire, en engendrant une nouvelle génération ? »
Voici quelques interrogations lourdes de sens auxquelles le politologue et philosophe Américain Georges Weigel essaye de répondre dans un ouvrage singulier intitulé « Le cube et la cathédrale » (La table ronde, 2005). Weigel fait le diagnostic d’une rupture culturelle entre les Etats-Unis et l’Europe, en basant sa réflexion sur « la crise de la raison morale », sorte de crise de civilisation morale que connaîtraient les européens après un siècle de guerres, de massacres de masse, de totalitarismes. « Pourquoi l’Europe a-t-elle eu le XX ème siècle que nous lui connaissons ? » La réponse qu’apporte ce théologien est « l’oubli de Dieu », c'est-à-dire la laïcisation et la déchristianisation des sociétés européennes.
Faisant le constat que ce sont des courants profonds culturels et spirituels qui définissent l’« histoire », et non pas des considérations idéologiques, politiques ou économiques, aussi importantes soit-elles, Weigel « date » le début de cet ensauvagement, de cette « sortie de l’histoire », à la première guerre mondiale, cette « guerre civile européenne » pour Ernst Nolte, qui éclate dans un climat violent de course aux armements, de révolution scientifique et industrielle et de nihilisme Nietzschéen, et met à bas l’ancien ordre aristocratique et diplomatique européen. W. Churchill, le 29 juillet 1914 : « Tout va à la catastrophe et à l’effondrement, une vague de folie a balayé l’esprit du christianisme » ; le même jour, du général en chef Von Moltke : « Cette guerre va anéantir la civilisation de presque toute l’Europe pour les décennies à venir. »
Cet « oubli de Dieu », cet « humanisme athée » selon le Jésuite Henri de Lubac, expliquerait les tyrannies de ce siècle, arguant que, sans Dieu, cet « humanisme » ne pouvait qu’être inhumain. Disparition de la transcendance et no man’s land spirituel…
« L’homme européen s’est persuadé que pour être moderne et libre, il devait être radicalement laïc. Cette conviction a eu des conséquences cruciales, voire létales, sur la vie publique et la culture de l’Europe: elles sont de facto à la racine de la crise morale de la civilisation que connaît actuellement l’Europe. Cette crise nous aide à son tour à expliquer pourquoi l’homme européen oublie délibérément son histoire; pourquoi il abandonne le dur labeur et le haut risque de la politique démocratique, préférant apparemment la fausse sécurité domestique de la bureaucratie et la sécurité internationale douteuse offerte par le système des Nations Unies; Cette crise éthique de civilisation est l’une des raisons essentielles pour lesquelles l’européen échoue à créer l’avenir humain de l’Europe.»
Weigel montre ainsi combien la doctrine chrétienne est consubstantielle de l’idéal européen contemporain. Combien cet héritage chrétien, n’en déplaise aux thuriféraire de cet humanisme athée si vain et destructeur, fut important et décisif dans ce que nous sommes : dignité de l’homme et individualisme (au sens de l’accomplissement d’une destinée singulière voulue par Dieu), sécularisation, idée d’un ordre de justice transcendant (ce qui est « juste » n’est pas seulement ce que les détenteurs du pouvoir politique déclarent être juste). Et combien nier cet apport singulier et décisif est absurde (de même qu’il serait absurde de nier les fondements grec et romain de notre civilisation…). Ce reniement d’une partie de nos racines culturelles (qu’on le veuille ou non), la malhonnêteté de ce questionnement sur la dimension chrétienne de l’identité européenne, me rappelle le titre d’une conférence bouffonne organisée par certains milieux universitaires dans les années 80 et relatée par la médiéviste Régine Pernoud (dans un petit livre indispensable, Pour en finir avec le Moyen-Âge) : « Le Moyen-Âge était-il chrétien ? » Poser la question, c’est y répondre !
« L’Eglise, porteuse de l’évangile, a aidé à répandre et à consolider ces valeurs qui ont rendu universelle la culture européenne » disait Karol Wojtyla. Et encore, le même : « Lorsque les grandes valeurs qui ont amplement inspiré la culture européenne sont volontairement séparées de l’Evangile, ces vertus, comme la tolérance et le respect de l’autre, perdent leur vraie âme et pavent le chemin d’aberrations », comme par exemple, imposer la laïcité au nom de la tolérance et du pluralisme. Pour Weigel, « la doctrine sociale de l’Eglise offre ainsi à l’Europe la possibilité de défendre la structure morale de la liberté, de façon à protéger la culture et la société de l’Europe d’une double utopie : l’utopie totalitaire de la justice sans liberté et l’utopie contraire de la liberté sans justice qui va de pair avec un concept erroné de « tolérance » ».
Loin du concept d’aire géographique et économique -utilitaire- promu par nos élites technocratiques et endogamiques, l’Europe est et reste fondamentalement un concept historique et culturel dont la dimension religieuse -chrétienne- a été et reste encore cruciale, ne serait-ce que pour apporter un minimum de transcendance à un projet résolument matérialiste.
16:35 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : dieu, humanisme, civilisation, athée, crise, europe
13/07/2007
Art moderne
« Il n’est pratiquement plus nécessaire, au stade ou nous en sommes arrivés, d’attaquer l’art dit contemporain et les prétendus artistes qui, par leur désoeuvrement leur nombre et leur aigreur, lui fournissent encore ce qu’ils croient être un semblant d’existence. Ceux-ci, désormais, se détruisent d’eux-mêmes en avouant leur soumission à l’ordre du néomonde, comme activité supérieure à celle d’artiste (sans doute aussi celle-là est-elle plus rentable que celle-ci) ; et ils pourraient tous, à quelque « discipline » qu’ils appartiennent, proclamer comme ce musicien d’un groupe breton : « Avant d’être des musiciens, on est des citoyens » ; Il suffit d’imaginer une phrase pareille dans la bouche de Mozart, de Rodin, de Giotto, de Haydn ou de Cézanne pour avoir de quoi rire jusqu’à l’an 3000 ; on peut très bien imaginer son équivalent, en revanche, dans la bouche d’un artiste réaliste socialiste de l’époque stalinienne. »
(Philippe Muray, Après l’Histoire, Gallimard 2000)
Illustration n°1: l'affaire du perroquet Girard: http://www.wmaker.net/leperroquetlibere/docs/LaLettre4.pdf
Illustration n°2: festivisme délirant et rebellitude en carton de quelques clowns invertébrés stipendiés par le contribuable hébété et sommé d'opiner: http://indociles.blogs.liberation.fr/laske/2007/07/ordre-..., ou comment le Nouvel Ordre Festif et Citoyen étend son empire...
05/07/2007
Barbares et gothique.
A mille milles de la dialectique victimaire et raciste de ces faux « indigènes de la république », mais vrais barbares de nos temps modernes, les architectes de l’age roman parlaient à Dieu. Accessoirement, ils étaient sollicités par un problème essentiel à la construction des églises, celui de donner à ces imposants édifices de pierre une couverture, elle même de pierre, qui soit digne de leur majesté. Les charpentes qui couvraient généralement les basiliques manquaient d’allure et, de plus, elles s’enflammaient facilement. La science qu’avaient les Romains de voûter de grands édifices impliquait toute une série de connaissances techniques et mathématiques qui, dans une large mesure, étaient perdues.
Aussi le XIème et le XIIème siècle furent-ils une période d’incessantes expérimentations. Ce n’était pas une petite affaire que de couvrir d’une voûte toute la largeur de la nef. La solution la plus simple semblait être de lancer la voûte comme on lance un pont sur une rivière. On construisit des piliers formidables pour supporter les arcs de ces ponts. Et il devint vite évident qu’une telle voûte, pour ne pas menacer de s’écrouler, devait être très solidement assemblée et qu’il y fallait un très grand poids de pierre. Pour supporter ce poids énorme, murs et piliers devinrent encore plus forts et plus massifs. Ces voûtes en berceau nécessitaient d’immenses entassements de pierres.
Aussi les architectes romans se mirent-ils à la recherche d’une technique nouvelle. Ils comprirent qu’il n’était pas absolument nécessaire de construire une voûte si pesante. Et qu’il suffisait d’établir un certain nombre d’arcs de soutien très solides et de remplir les intervalles d’un matériau plus léger. On s’aperçut ainsi que le meilleur système était de lancer entre quatre piliers des arcs de soutien- ou des nervures- croisés en diagonale, puis de combler les sections triangulaires qu’ils déterminent. Cette idée qui devait bientôt révolutionner les méthodes de construction, semble trouver son origine à la cathédrale de Durham ; L’architecte, qui peu de temps après la conquête, employa ainsi la première voûte en croisée d’ogive pour l’intérieur imposant de cette cathédrale était sans doute loin de prévoir toutes les conséquences de son invention.
Or, à peine les architectes eurent-il réussi à voûter leurs églises, que des recherches nouvelles vinrent donner à toutes ces églises normandes et romanes quelque chose d’archaïque et de démodé. L’idée prit naissance dans le nord de la France : il s’agit du principe du style gothique. Plus qu’une simple innovation technique, c’était une révolution : la découverte que le principe consistant à voûter une église par des arcs croisés en diagonale, pouvait être appliqué beaucoup plus systématiquement et à beaucoup plus grande échelle que les normands ne l’avaient imaginé. Si vraiment les piliers suffisaient à porter les nervures de la voûte, et si les pierres qui formaient les voutins triangulaires n’étaient que du remplissage, alors il n’était plus besoin de murs massifs entre les dits piliers. C’était la possibilité d’élever une espèce d’armature de pierre capable capable de maintenir tout l’édifice. Il n’y fallait que de minces piliers et d’étroites nervures ; On pouvait évider les intervalles sans compromettre la solidité de l’armature ; Plus besoin de lourds murs de pierre : on pouvait les remplacer par d’amples fenêtres. C’était la possibilité de construire une église d’un type tout à fait nouveau, un édifice de pierre et de verre comme le monde n’en avait jamais connu. C’est là l’idée directrice des cathédrales gothiques, idée qui porta ses fruits dans le nord de la France, au cours de la seconde moitié du XII ème siècle.
Evidemment, le principe de la voûte sur croisée d’ogives n’a pas, à lui seul, entraîné toute la révolution que représente le style gothique. Plusieurs autres inventions techniques ont été nécessaires pour accomplir le miracle. Les arcs en plein cintre- en berceau- du style roman, ne convenaient pas aux buts poursuivis par les constructeurs gothiques. Pour élever la voûte, il fallut renoncer au demi-cercle pour le principe de l’arc brisé, plus ou moins obtu ou aigu selon les exigences de la construction.
Un autre problème se posait : les lourdes pierres de la voûte ne pèsent pas seulement verticalement, mais aussi latéralement. Les piliers à eux seuls ne pouvaient résister à cette poussée latérale. De forts soutiens, de fortes butées -des contreforts- étaient indispensables pour maintenir l’édifice. Mais pour assurer le maintien de la nef, il fallut inventer des contreforts particuliers, les arcs-boutants, passant par dessus le toit des bas-côtés, complétant ainsi l’armature de la voûte gothique. C’est l’égale répartition du poids, des charges, qui permit de réduire de plus en plus la masse de matière employée, sans compromettre la solidité de l’ensemble.
Mais il serait erroné de ne considérer ces églises que comme des tours de forces d’ingénieurs ; les architectes se préoccupaient avant tout de rendre sensible et émouvante la hardiesse de leur plan. Un église gothique est un miracle architectural résultant du jeu complexe et maîtrisé de poussées et de résistances qui maintiennent la haute voûte. L’intérieur d’une telle église fait immanquablement penser à la frondaison de quelques grands arbres, entre tissage de colonnes et de nervures, fenêtres élancées diffusant à profusion la lumière au travers de vitraux brillants et multicolores représentant des scènes liturgiques.
Il est difficile d’imaginer l’impression qu’ont du faire ces monuments sur des gens qui ne connaissaient que les farouches et lourds édifices romans. Ces dernières églises si robustes , si massives -et si belles-, pouvaient bien exprimer quelque chose de l’Eglise militante qui offre un refuge contre les assauts du démon. Les nouvelles cathédrales ouvraient au croyant un autre monde, plus prés du royaume céleste que de la vie terrestre.
(illustrations: en haut Vezelay, puis cathédrale de Durham (1128), puis arcs-boutants de Notre Dame et en bas la Sainte chapelle, à Paris (1248))
21:20 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : barbares, gothique, église, cathédrales, roman, sainte chapelle
01/07/2007
Sous-chiens?
Je vous suggère de suivre ce lien :
ce-soir-ou-jamais.france3.fr/article.php?id_article=279&id_rubrique=122&video=20070621_csoj.wmv
(écouter à la 28-29eme minute en particulier, pour comprendre le titre de ce post...)
11:00 | Lien permanent | Commentaires (8)
30/06/2007
Salope!
« La France est une garce, n’oublie pas de la baiser jusqu’à l’épuiser, comme une salope il faut la traiter ‘mec’ »
Phrase extraite de la chanson « FranSSe » de l’album Politikment Incorreckt du rapeur monsieur R. On se rappelle que l’action en justice d’un groupe parlementaire UMP avait déclenché l’ire évidemment légitime de l’hydre progressiste, au nom de la « tolérance », du « respect de la création artistique » d’une « jeunesse en mal de reconnaissance confrontée à la discrimination quotidienne de notre société »…Le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (Mrap) parla ainsi de « basse manœuvre politique des élus de l’UMP visant à chasser sur les terres électorales de l’extrême droite ». Et fit savoir dans un communiqué qu’il mettait à disposition de ces députés « des extraits des chansons de différents artistes français dont les textes appellent à la violence, à la sédition, au mépris de l’armée et de la police » afin de les aider dans « leur entreprise de purge culturelle »…Nulle volonté donc, aux yeux de nos professionnels de l’antiracisme et de la tolérance, d’insulter ou de rabaisser notre belle patrie " la FranSSe" dans cette assertion dont la rigueur conceptuelle force l'admiration et ne saurait se comparer à la rudesse de la lyrique courtoise, par exemple.
Dans ce contexte éminemment favorable à la liberté d’expression et la tolérance à l’égard de la créativité artistique, les mêmes parangons de la licence créatrice se transforment sous nos yeux en censeurs vétilleux, véritables janissaires d'un ordre moral qu'habituellement ils vomissent... De la à considérer que le clouage au pilori de l'artiste Devedjian, coupable d'avoir qualifié (à raison?) une élue Modem de salope, ne releverait que de la tartuferie habituelle et stratosphérique de nos élites progressistes, il n'y a qu'un pas.
Y aurait-il deux poids, deux salopes ?
09:35 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : salope, devedjian, lyrique courtoise, rap, enfoirés de progressistes
27/06/2007
Politiquement correct
Encore Volkoff, allez-vous me dire ! Je sais, je sais, mais je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ces quelques lignes…
Enracinement : l’enracinement, au sens ou l’entendait Simone Weil, est la chose la plus politiquement incorrecte du monde ; Naître enraciné dans une famille, dans une nation, dans une civilisation que l’on n’a pas choisie et pousser la bassesse jusqu’à les assumer, les revendiquer, les faire siennes, rien n’est plus répugnant. L’individu politiquement correct se doit d’être « fils de personne », comme le formulait Montherlant, « voyageur sans bagages », comme l’exprimait Anouilh, « citoyen du monde » ; Les seuls enracinements politiquement corrects sont ceux qui tiennent du hobby, plus que de l’héritage (forcément honni).
Par exemple, il est permis de se vouloir occitan, à condition d’inventer une langue « occitane » qui possède une morphologie et une syntaxe, mais que personne ne parle. En revanche, les véritables habitants du Sud-ouest qui parlent leur patois sont politiquement suspects parce que leur patois les isole tant soi peu de l’influence politiquement correcte. Cependant il est permis de les encourager dans cette voie parce que :
- d’une part, ils ne sont pas vraiment dangereux,
- d’autre part, toute action qui vise, si peu que ce soit, à la dislocation de la nation doit être considéré comme bénéfique.
Droite : en France, il était politiquement incorrect d’être « de droite » tant que la droite pensait différemment de la gauche. Les choses ont tendance à s’arranger.
Culpabilité : notion politiquement incorrecte chaque fois qu’elle est appliquée à l’auteur présumé d’un acte considéré comme regrettable. Si vous égorgez une vieille dame, il y a de fortes chances pour que quelqu’un d’autre que vous soit le coupable :
- le couteau,
- l’institutrice qui vous a donné une claque il y a quarante ans,
- le médecin qui vous a humilié au conseil de révision,
- le patron qui vous a refusé une augmentation,
- la société qui vous a fait grandir dans un milieu ou les couteaux sont en vente libre,
- la vieille dame elle-même qui avait fermé sa porte à double tour, si bien que vous avez été obligé de casser la vitre pour procéder à l’expropriation projetée, ce qui vous a mis en colère.
Trouver autrui coupable de quoi que ce soit est fasciste ; Se trouver soi-même coupable de quoi que ce soit est pathologique.
Civilisation : mot archaïque, impropre, néfaste, outrecuidant, réactionnaire, discriminatoire et politiquement incorrect ; Utiliser plutôt le mot culture.
Fascisme: terme pouvant être avantageusement appliqué à toute doctrine, attitude, façon d'être ou de penser, sans aucun rapport avec l'idéologie Mussolinienne, mais ne satisfaisant pas pleinement à toutes normes du politiquement correct.
Hétérosexualité: politiquement neutre; pour être tolérable et tolérée, elle doit se montrer réservée, modeste hésitante, et afficher une compréhension pleine et entière de l'homosexualité.
Lutte des classes: cette notion, au sens marxiste du terme, c'est à dire celle des bons pauvres contre les mauvais riches, n'est pas, en soi, politiquement correcte parce que trop simpliste; c'est la lutte contre la notion même de classe qui est politiquement correcte. A comparer avec la notion de race: le politiquement correct ne vise pas à la victoire d'une race sur une autre, ni même à l'égalité des races.Il vise à la destruction des races en tant que telles par voie du métissage.
Orthographe: le tsar Nicolas II, à qui on demandait à quoi servait en russe la lettre iat' (sorte de e, faisant double emploi avec le e ordinaire et compliquant quelque peu l'orthographe), répondit: "A distinguer les lettrés des illetrés." C'est bien pourquoi la notion d'orthographe-comme celle d'orthodoxie-est politiquement incorrecte. Elle suppose qu'il y a une bonne et une mauvaise façon d'écrire, ce qui est inacceptable; Tout au plus pourrait-on dire qu'il y a diverses façons d'écrire et que la plus usuelle est celle qui se conforme à l'orthographe reçue.
Le politikman korekt apel de tou sé veu une réform de l'ortograf.
Vladimir Volkoff. Manuel du politiquement correct, Ed du Rocher, 2001.
23:00 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Vladimir Volkoff, politiquement correct
23/06/2007
Vertige de l'égalité.
« Aujourd’hui, dans la plupart des cas, les démocraties semblent favoriser systématiquement l’égalité, avec toutes les limitations que cela suppose pour la liberté individuelle. Le nombre de lois, d’arrêtés, de décrets, de règlements administratifs qui nous ligotent et asphyxient l’Etat et le politique va croissant. Et le fait que tout citoyen européen vive maintenant sous une double subordination, la nationale et l’européenne, multiplie encore ces empiètements vexatoires sur la liberté de l’homme et du citoyen.
En revanche, l’égalité lui est imposée de manière de plus en plus despotique.
Le réactionnaire Flaubert écrivait à la socialiste Georges Sand : « Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli. »
En faisant la part de la boutade, il est vrai que, dans ses débuts, la démocratie Française, par exemple celle de la troisième république, avait pour but d’élever le prolétaire au niveau du bourgeois, pour la prospérité et pour la culture. Mais ce n’est plus véritablement le cas. Le but de la démocratie moderne semble être davantage de rabaisser le bourgeois au niveau du prolétaire, le nivellement se faisant systématiquement par le bas, par exemple dans tout ce qui regarde l’éducation nationale : c’est en baissant le niveau du baccalauréat qu’on a réussi à le donner à une majorité de candidats, ce qui ne pouvait avoir qu’un effet démagogique positif, mais culturel négatif, sans parler du tort causé aux étudiants eux-mêmes, systématiquement égarés sur leurs compétence…
Montesquieu, dans l’Esprit des Lois, ne s’y était pas trompé : « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité. »
C’est pourquoi, la nature humaine étant plus souvent portée à l’envie qu’à la générosité, ce sont généralement les classes les moins favorisées qui recherchent la démocratie, dans l’espoir d’atténuer les différences qui les séparent des classes dites supérieures, tandis que les classes dites supérieures, n’ayant qu’à y perdre, s’efforcent aussi longtemps que possible de préserver le statu quo.
En revanche, dés qu’un certain seuil d’inégalité féconde a été enfreint, l’entropie égalitaire produit des effets moins heureux.
La fermeture progressive de l’éventail des salaires et, sous la pression fiscale, de celui des revenus, est faite pour séduire la masse, mais elle est catastrophique pour l’art de vivre d’une nation ; On ne peut que se réjouir de la disparition progressive d’une certaine misère, mais faut-il se féliciter du même coup de l’appauvrissement des classes fortunées qui, dans le temps, avaient le loisir et les moyens de favoriser les arts, de l’ébénisterie à l’opéra ?
Ne faut-il pas s’inquiéter aussi de la formation d’un Lumpenprolétariat typiquement contemporain et qui trouve son origine dans une égalité obligatoire mais utopique ? Nous avons plus de bacheliers et davantage d’illettrés ; moins de pauvres et plus de chômeurs. D’un autre coté, des abymes séparent un diplômé d’université d’un ancien de grande école. On ne voit pas ce qu’il peut y avoir de sain dans cette évolution. »
Vladimir Volkoff . Pourquoi je suis moyennement démocrate. Ed du Rocher 2002.
12:34 | Lien permanent | Commentaires (4)
19/06/2007
Orages d'acier.
« Un cercle d’allemands et d’anglais nous entourait, nous invitant à jeter nos armes. Il régnait la même confusion que sur un navire qui sombre. J’exhortais d’une voix faible mes voisins à poursuivre leur résistance. Ils tiraient sur nos adversaires et sur les notres. Un guirlande de figures hurlantes ou muettes se refermait autour de notre petite troupe ; A gauche deux colosses anglais fourrageaient à coups de baïonnettes dans un bout de tranchée d’ou s ‘élevaient des mains implorantes. Parmi nous, on entendait aussi des voix stridentes : « cela n’a plus de sens ! Jetez vos fusils ! Ne tirez pas camarades ! » Je lançais un coup d’œil aux deux officiers, debout à coté de moi dans la tranchée. Ils me répondirent d’un sourire, d’un haussement d’épaules, et laissèrent glisser à terre leur ceinturons. Il ne me restai plus que le choix entre la captivité ou une balle ; (…) Deux anglais qui ramenaient un groupe de prisonniers du 99éme vers leurs lignes, me barrèrent la route. Je plaquai mon pistolet sur le corps de l’un deux et appuyai sur la détente; l’autre déchargea son fusil sur moi sans m’atteindre ; Ces efforts violents chassaient le sang de mes poumons en spasmes clairs. Je pus respirer plus librement et continuai à courir le long du bout de tranchée. Derrière une traverse, le lieutenant Schläger était accroupi au milieu d’un groupe de tireurs. Ils se joignirent à moi. Quelques anglais, qui traversaient le terrain, s’arrêtèrent, mirent un fusil-mitrailleur en batterie et tirèrent sur nous. Sauf moi-même, Schläger et deux de nos compagnons, tous tombèrent; (…) rien ne m’inquiétait, que la perspective de m’écrouler trop tôt… »
Ces quelques lignes sont tirées d’« Orages d’aciers », livre extraordinaire dans lequel Ernst Jünger relate son expérience de soldat puis d’officier dans les troupes de choc lors de la première guerre mondiale.Qui a lu Barbusse ou Genevoix sait la réalité -l’horreur absolue- de ce conflit. Mais le témoignage d’Ernst Jünger dépasse, à mon avis, le simple récit de guerre et atteint une dimension quasi Homérique, tant l ‘engagement, le courage physique et la fascination sont totales. Jünger fut blessé quatorze fois et fut décoré avant la fin de la guerre de la Blauer Max, la plus haute décoration militaire Allemande. Bien qu’anti-nazi et sympathisant des militaires qui organisèrent l’attentat raté contre Hitler, il sera défendu par celui-ci (qui avait connu aussi l’enfer des tranchées comme simple soldat), en souvenir de sa conduite héroïque durant la première guerre mondiale.
De Jünger, Julien Gracq disait : « L’émail dur et lisse qui semble protéger cette prose contre un toucher trop familier nous semblerait peut-être un peu glacé, si nous ne savions et si nous ne perdions jamais le sentiment au cours de notre lecture, qu’il a été obtenu à l’épreuve du feu. »
Jünger reste une énigme. Né le 28 mars 1895, il s’enfuit à 17 ans de la maison familiale pour s’engager dans la Légion étrangère : « J’avais acquis un jour la certitude que l’Eden perdu se trouvait quelque part dans les ramifications du Nil supérieur et du Congo. » écrit-il dans Jeux Africains. Récupéré par son père à Sidi-bel-abbès, il est engagé volontaire dés le début de la Grande Guerre.Viennent aprés des études de philosophie et de zoologie à Leipzig et à Naples et la publication de ses premiers livres, dont Orages d’aciers, (« Le plus beau livre de guerre que j’ai lu » dit Gide) et Les falaises de marbre, dans lequel il dénonce la barbarie Nazie. Jünger refuse les propositions du parti Nazi en 1933, préférant se consacrer à ses recherches d’entomologistes et à l’écriture. Il participe à la seconde guerre mondiale comme attaché à l’état-major parisien et consacre son temps libre à rédiger son Journal Parisien, de 1939 à 1945. Jünger aime profondément Paris et la France ; on le rencontre à l’hôtel Raphaël ou il loge, au Ritz, à la Tour d’Argent…Il déjeune ou dîne avec Jouhandeau, Morand, Guitry, Arletty, Cocteau, Picasso, Braque…Il lit Melville, Giono et surtout Léon Bloy. Il va au théâtre, se promène à travers Paris. Mais il est témoin aussi d’atrocités et d’horreurs.
« Paris le 7 décembre 1941 ; L’après-midi, à l’Institut Allemand, rue Saint Dominique. Là, entre autres personnes, Merline (Céline), grand, osseux, robuste, un peu lourdaud, mais alerte dans la discussion, ou plutôt dans le monologue. Il y a chez lui, ce regard des maniaques, tourné en dedans qui brille comme au fond d’un trou. (…) Il dit combien il est stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions pas les juifs- il est stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage illimité. « Si les bolcheviks étaient à Paris, ils vous feraient voir comment on s’y prend ; ils vous montreraient comment on épure la population, quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la baïonnette, je saurais ce que j’ai à faire ! » »
« Paris le 7 janvier 1942 ; Reçu une lettre de mon frère Wolfgang qui, de nous quatre a été appelé le dernier sous les drapeaux ; il dirige maintenant, avec le grade de caporal, un camp prisonnier à Zullichau ; les prisonniers ne seront pas mal avec lui. Il me raconte ceci, pour la bizarrerie de la chose : « Hier, je me suis rendu pour raison de service à Sorau en Lusace, ou j’avais à conduire un prisonnier à l’hôpital. Là, il m’a fallut également faire une visite à l’asile d’aliénés. J’y ai vu une femme dont la seule manie était de marmonner sans arrêt : « Heil Hitler ! » Quand même, voilà une folie qui est bien de notre époque. »
Au delà de la description factuelle et érudite de sa vie Parisienne, Jünger révèle au lecteur sa haine de Hitler et de ses partisans (qu’il désigne sous le nom de lémures), son horreur de ce qui s’est emparé de l’Allemagne , mais aussi son impuissance et sa prescience du désastre à venir.
Lors de l’épuration, bien que farouche nationaliste et homme de droite en un certain sens, Jünger sera défendu par Brecht au moment ou son œuvre se voit mise à l’index.
Viennent ensuite des années de voyages, d’études entomologistes et d’écriture qui font de cet homme inclassable un être manifestant dans ses écrits un besoin d’absolu et une exigence de sincérité bien rares.
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